La France va-t-elle enfin délivrer sans rechigner des papiers aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger ? Un pas vient à l’évidence d’être franchi. En mars, le parquet de Nantes, compétent en matière d’état civil pour toute la France, s’était opposé à la transcription dans l’état civil français des actes de naissance de trois enfants, nés de GPA (en Ukraine, en Inde et aux Etats-Unis). Il a pris mercredi un sacré coup de baguette sur les doigts : le tribunal de grande instance (TGI) de la ville l’a enjoint à procéder à la transcription. Et de surcroît condamné à verser 1 000 euros de frais d’avocat aux familles.
Filiation. Un virage à 180° de la justice face à la gestation pour autrui ? En rien. La GPA reste (et restera sans doute longtemps) interdite en France. Et cette décision du tribunal de grande instance de Nantes n'est en fait qu'une simple application de deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui prônent le respect de l'intérêt supérieur des enfants. Etre en possession de papiers d'identité, figurer sur un livret de famille (et avoir ainsi une filiation établie), pouvoir disposer d'un passeport font en l'occurrence partie de cet «intérêt supérieur». Pour mémoire, la CEDH avait condamné en juin 2014 la France dans deux affaires relatives à la situation de trois enfants (dont les célèbres jumelles Mennesson) nés de GPA aux Etats-Unis et que la France privait de papiers.
Ces deux arrêts sont devenus applicables en septembre, la France n'ayant pas fait appel de cette décision, malgré d'intenses pressions des anti-GPA. Depuis, au grand désarroi des familles hétérosexuelles (la majorité des cas, et suite à des problèmes d'utérus) et homosexuelles pour lesquelles la GPA est la seule façon de fonder une famille, le parquet de Nantes faisait de la résistance. Pour l'avocate Caroline Mécary, cette décision du TGI de Nantes «est une victoire pour chacun des enfants concernés… C'est enfin la victoire du droit sur les tergiversations politiciennes au plus haut niveau de l'Etat», commente-t-elle, déplorant que la question de la GPA «se règle dans le silence des tribunaux» plutôt que par une décision politique.
En octobre, le Premier ministre, Manuel Valls, avait en effet assuré que la reconnaissance des enfants nés par GPA resterait interdite en France, malgré la condamnation par la CEDH. Claude Bartolone, président de l'Assemblée et candidat socialiste aux régionales en Ile-de-France, a de son côté souligné la «contradiction» qui règne sur le sujet : lui-même se dit contre la «marchandisation des corps», mais favorable à la reconnaissance des enfants nés d'une GPA, car «une fois qu'ils sont là», ils sont bel et bien «de chair et de sang». «C'est le droit de l'enfant qui doit primer», plaide-t-il.
Tribune. A peine révélée par Ouest-France, l'injonction du TGI de Nantes de demander l'inscription de ces trois enfants sur les registres français de l'état civil a réveillé l'ire de ceux qui condamnent le recours à cette pratique. «Reconnaître» ces enfants revient à légitimer la gestation pour autrui, bien que la CEDH ne se soit aucunement prononcée pour ou contre la GPA, disent-ils.
Ils sont nombreux dans ce cas, tant dans le camp des féministes et de certains altermondialistes, comme l'a encore montré une tribune parue dans Libération, que dans les rangs de la Manif pour tous. «Derrière ces trois lettres, GPA, se cache un scandale que la France, patrie des droits de l'homme, doit combattre et non avaliser par l'intermédiaire des tribunaux», a réagi la présidente de ce mouvement, Ludovine de la Rochère.
Dans le camp adverse, on se réjouit de la décision du TGI. Un signe favorable, alors que la Cour de cassation, instance suprême, doit statuer en juin sur les cas de deux enfants nés en Russie et toujours privés de papiers. Une décision très attendue, car propre à régler une fois pour toutes le sort de ceux qu’on appelle les petits «fantômes de la République».