Les faits sont là : notre collège est un des plus inégalitaires des pays de l’OCDE. Entre l’école primaire et le lycée, il est le lieu où se creusent les inégalités et où le déterminisme social joue à plein pour fabriquer du décrochage scolaire (140 000 enfants sur une classe d’âge de 750 000 en moyenne), et compromettre ainsi le destin de presque 20% de notre jeunesse. Mais l’enquête Pisa révèle aussi qu’au-delà des inégalités, le niveau moyen de tous les petits Français baisse, depuis des années. La médiocrité, elle est bien là, déjà, au grand dam de ceux qui en accusent la réforme sans réaliser que notre pays a déjà glissé (le niveau moyen a chuté de 16 points en mathématiques, et le nombre d’élèves en difficultés en lecture a augmenté de 4 points entre 2003 et 2012) et que l’enjeu de cette réforme est au contraire d’en sortir. Iniquité, médiocrité, le constat est insupportable. Comment un gouvernement de gauche pourrait-il ne pas s’attaquer à cet immense problème ?
Je suis sidérée du niveau de désinformation qui entoure cette réforme, et du flou qu’il jette sur un projet pourtant courageux dans ses intentions comme dans ses principes. Car cette réforme, si elle est sûrement perfectible, cherche l’avancée, et imprime un mouvement là où il ne peut plus être question d’immobilisme, sous peine d’enlisement. On critique déjà les programmes alors que ceux-ci ne sont qu’à l’étape d’un premier projet et sujets à discussion, avant même de parler du cœur de la réforme.
Que propose-t-elle ? De conduire toute une classe d’âge à acquérir un socle commun de savoirs qui permette ensuite de choisir une orientation, et de devenir un citoyen éclairé. La plupart des grands pays y parviennent, et oui, c’est ce que j’appelle le collège unique républicain. Il n’y a aucune raison de penser que nos enfants, dans leur quasi-totalité, ne puissent accéder à ce socle commun de savoirs. Ecourter le temps de ces acquis, et forcer les enfants à faire des choix prématurés, dans l’ignorance de leurs conséquences, ne me semble pas souhaitable. Aux défenseurs de l’apprentissage précoce, je rétorque que quels que soient les métiers qu’envisagent les jeunes, menuisier ou médecin, ils ont droit à un bagage commun de culture et de citoyenneté, qui les arme pour leur activité mais aussi pour la vie en société. Faire des savoirs fondamentaux un passage obligé pour tous relève d’une obligation républicaine et de la plus élémentaire justice sociale.
Quant aux modalités d’acquisition de ce socle commun, elles sont au cœur de la réforme, et curieusement occultées par le débat sur le latin et les classes bilangues. Il s’agit de trois heures de cours par semaine consacrées au renforcement des connaissances de base, et ce dès la sixième pour éviter le décrochage précoce. Trois heures, c’est un gros effort. La réforme propose donc un accompagnement vigilant qui aidera tous les enfants et notamment les plus fragiles. Veut-on autre chose ? Ils n’avaient pas de méthode pour apprendre, ne passaient pas assez de temps sur le socle : le voilà, l’accompagnement, le voilà, le temps. Les plus forts seront-ils pour autant freinés dans leurs apprentissages ? Je n’y crois pas une seconde. N’importe quel observateur avisé d’une dynamique de classe conviendra que lorsque les élèves les plus en difficulté progressent, tout le monde y gagne et que les bons sont nécessairement poussés par l’amélioration du niveau général. Par ailleurs, il est légitime que ce soit bien dans le cadre du collège qu’ait lieu ce suivi renforcé, car on sait que tout ce qui n’existe pas au collège est laissé aux familles, et réintroduit du déterminisme social. Il en est ainsi de tous les cours particuliers, des entreprises privées de soutien scolaire, qui professent d’ailleurs, à raison, leur croyance dans le potentiel de chacun, et auxquelles je vois autour de moi beaucoup de gens aisés recourir. Je préfère, pour ma part, que cela se passe au collège.
Ensuite, à l’intérieur et autour du socle, la France n’a longtemps reconnu qu’une seule méthode pour apprendre : le cours professoral. Nombreux sont mes compatriotes qui déplorent la moindre capacité de nos jeunes à conduire une discussion, exposer leur point de vue, échanger, discuter, bref être actif, explorer et travailler en équipe. La réforme s’ouvre enfin à ces nouveaux modes, en proposant, sur 20% du temps, des enseignements transdisciplinaires, menés à deux ou à trois, sur des champs prédéfinis, en lien avec le socle, et qui devront permettre aux enfants d’emprunter d’autres chemins de connaissance et d’épanouissement de leurs différentes formes d’intelligence. Bien sûr, c’est nouveau, les professeurs vont devoir se parler et travailler ensemble, mais n’est-il pas temps d’insuffler une ouverture nouvelle, un esprit plus collectif, dans le corps enseignant, plus de partage entre eux et avec les enfants ? C’est un acte de confiance important dans le corps enseignant, et je suis persuadée que nombre de professeurs entreront avec curiosité dans ces nouvelles approches, par ailleurs expérimentées dans quelques classes françaises avec succès. Ce ne sera pas facile, mais doit-on renoncer à innover parce que ce n’est pas facile ? Je trouve plus intelligent d’être ferme et clair sur l’objectif - à tous le socle commun - et de laisser aux équipes enseignantes une autonomie, et une certaine latitude de manœuvre sur les moyens d’y parvenir. La réforme doit se faire avec le talent des professeurs, ou rien ne se fera, et on leur fait insulte en pensant qu’ils n’en seront pas capables. Je suis plus optimiste.
Quant aux programmes, en cours d’examen par le Conseil supérieur des programmes (CSP), il est vrai qu’on peut encore les faire progresser. La consultation des enseignants est en cours. La société civile réagit, et c’est tant mieux. Il faut sûrement encore y travailler. On aimerait - il faut le dire sans ambages - bannir tout jargon de leur énoncé. On apprécierait qu’ils réaffirment l’importance, en histoire, de la chronologie. A l’évidence, nul ne tient à délaisser le siècle des Lumières, ni à étudier l’histoire sous l’angle unique du patriotisme ou de la pure identité nationale. N’hésitons donc pas à faire des commentaires sur ces programmes avant qu’ils soient arrêtés. Président du CSP, Michel Lussault semble un homme d’ouverture et de dialogue. L’enjeu est aussi de recaler les programmes sur le contenu réel du socle, ce qui relève, a priori, du bon sens, mais qui, à ce jour, n’avait pas été réalisé. Le classement Pisa nous invite à remonter le niveau moyen exigible et nous l’attendons tous.
Venons-en au latin. D’abord le latin et le grec ne sont choisis que par 18% à 20% des élèves. Et on imagine bien qu’en très grande majorité, ce ne sont pas les plus défavorisés. La vérité, c’est que très peu d’enfants choisissent le latin ou le grec par goût, ils y sont poussés par leurs parents qui y voient le moyen de les faire accéder aux meilleures classes. Le latin, censé passionner les bons élèves, est en réalité depuis longtemps l’objet d’un détournement élitiste. Ce que la réforme propose me paraît donc intéressant : rendre accessible l’enseignement des civilisations antiques, et donner ainsi à tous les clés de la culture gréco-latine qui a forgé celle de notre pays. Cette option me semble si importante qu’on devrait même la rendre obligatoire. Ceux qui dénoncent la perte des racines de la France se trompent : la réforme permettra au plus grand nombre de comprendre les fondements de notre civilisation. L’initiation à cette culture gréco-latine aura lieu dans le cadre d’un enseignement plus global, pluridisciplinaire, où se croiseront histoire des civilisations, de l’art, culture générale, langues anciennes, et français moderne. 100% d’élèves acculturés contre 20% de latinistes qui se réduisent à 5% au lycée ? En quoi est-ce une erreur, un reniement de nos racines ? De quoi parle-t-on ? Non, le latin et le grec ne sont pas supprimés. Ils continueront à exister comme option. Toute liberté est laissée à ceux qui veulent explorer plus avant le latin.
Il faut maintenant parler des langues. Probablement vaut-il mieux que tout le monde commence la seconde langue dès la cinquième plutôt que de réserver cet avantage à 16% des enfants en sixième ? La défense des classes bilangues, bastions réputés d’excellence, éminemment privilégiés, est le siège de trop d’intérêts particuliers. Tout dépend du choix de société dont on a envie. D’une société dans laquelle des élites déjà jugées omnipotentes se renforcent ou d’une société plus égalitaire où les cartes sont peu ou prou rebattues à chaque génération et où chacun a sa chance ? Au moment d’arbitrer sur les moyens, et sur l’opportunité de supprimer un avantage qui concerne en sixième une minorité d’élèves pour l’ouvrir à tous en cinquième, je crois que la réforme a tranché du bon côté. Pourquoi en France pense-t-on toujours qu’offrir quelque chose au plus grand nombre devrait forcément handicaper les élites?
L’Education nationale est un ministère sensible. Il cristallise nos espoirs et nos désillusions. Une femme s’y est installée, avec la volonté de changer les choses. Ce qu’elle propose, après une large consultation des parties prenantes, est fait pour élever le niveau des enfants, réduire inégalités et décrochage, et faire entrer tout le monde dans une République plus respectueuse des chances de chacun. J’en appelle à la responsabilité de nos hommes et femmes politiques, et j’adresse à la droite comme à la gauche de ce pays ce souhait : ne dressons pas devant la réforme du collège un mur de désinformation, d’incompréhension et de rejet, surtout s’il est dicté par des intérêts de classe. Le coût social de l’inertie est déjà colossal. Que les hommes et femmes de bonne volonté réfléchissent et rendent possible le changement, car cela fait des années que, collectivement, nous attendons un mouvement, et le courage qu’il exige.