Dix ans après le fiasco qui avait ébranlé l'institution judiciaire, l'affaire Outreau resurgit. Mardi s'ouvre à Rennes le procès en assises de l'un des 13 acquittés, Daniel Legrand fils, qui doit répondre de viols sur enfants qu'il aurait commis alors qu'il était mineur. Ces charges avaient été retenues contre lui en 2003 à l'issue de l'instruction initiale de l'affaire Outreau menée par le juge Fabrice Burgaud, mais n'avaient pas encore été jugées. Comme pour les faits supposés commis alors qu'il était majeur et pour lesquels il a été acquitté, ces viols présumés auraient été commis sur les quatre fils de la famille Delay, dont le père et la mère ont reconnu avoir abusé sexuellement.
«Je suis serein […], je suis prêt pour défendre mon honneur, a affirmé Daniel Legrand – dont le père décédé en 2012 était aussi l'un des acquittés d'Outreau – à la presse avant l'audience. Ça fait beaucoup pour un innocent, trois procès.» «C'est un procès qui n'a absolument aucun sens», a renchéri l'un de ses avocats, Me Eric Dupont-Moretti, ajoutant qu'«on ne vient pas ici pour démontrer son innocence, elle est acquise».
«Ça fait dix ans que je vis avec un puzzle qui n'est pas terminé et seule une belle justice pourra m'apporter cette dernière pièce du puzzle qui pourra me laisser vivre à l'heure d'aujourd'hui», a pour sa part confié l'un des fils Delay, Jonathan, le seul qui a annoncé qu'il viendrait témoigner. «Ça va être difficile pour tout le monde, a reconnu l'un de ses avocats, Me Patrice Reviron. Et si Daniel Legrand est acquitté à la fin d'un débat qui est loyal, ça ne posera pas de difficulté, y compris à Jonathan : il a envie de parler, il a des choses à dire.»
Jonathan Delay : «Si je n’avais rien à lui reprocher, je ne serais pas au procès»
L'audience publique devant la cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine s'est ouverte mardi peu avant 10 heures, dans une ambiance électrique. Dès le début de l'audience publique, le président de la cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine, Philippe Dary, est intervenu pour calmer les échanges tendus entre avocats des parties adverses, réclamant des débats «clairs [et] aussi sereins que possible».
Le dossier d’Outreau, portant sur un réseau pédophile présumé, a éclaté en février 2001. Mais après deux procès, à Saint-Omer (Pas-de-Calais) en 2004 puis en appel à Paris fin 2005, l’affaire a débouché sur l’acquittement de 13 personnes sur les 17 mises en examen, après parfois trois ans de détention provisoire. Le président Jacques Chirac présenta même ses excuses aux acquittés.
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Côté victimes, chez les fils de Thierry Delay et Myriam Badaoui Delay, condamnés à vingt et quinze ans de réclusion pour les avoir violés avec un couple de voisins, la souffrance n'est pas moindre, soulignent leurs avocats. Trois d'entre eux, les plus âgés, Chérif, Dimitri et Jonathan Delay, se sont constitués partie civile. «Les enfants Delay ont été laissés à la rue, on ne s'est pas beaucoup penché sur la destruction qu'ils ont subie», avait expliqué avant le procès Me Léon Lef-Forster, avocat de Chérif et Dimitri Delay. Chérif Delay, incarcéré pour une raison non précisée, a été en outre hospitalisé et ne pourra pas venir témoigner.
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C'est l'association de défense de l'enfance, Innocence en danger, venue en aide à plusieurs des enfants Delay après leur majorité, qui a rappelé au parquet de Douai en 2013 que les charges retenues contre Daniel Legrand fils lorsqu'il était mineur n'avaient pas encore été jugées et qu'elles risquaient d'être prescrites. Cette initiative a débouché sur ce nouveau procès à Rennes. Me Lef-Forster assure néanmoins, en réponse aux attaques de certains défenseurs de Daniel Legrand, qu'il ne s'agit pas d'«essayer d'obtenir des jurés et des magistrats qu'ils considèrent que la décision [d'acquittement] doit être remise en cause». L'un d'eux, Hubert Delarue, ne mâche pas ses mots : «Derrière tout ça, en réalité, quoi qu'ils disent, il y a toute l'équipe des révisionnistes qui, de manière très couarde, passent leur temps à dire que les acquittés étaient coupables.»
Parmi les 43 témoins cités à la barre, les principaux acteurs de l’affaire initiale, comme les «acquittés», mais aussi le juge Burgaud ou Myriam Badaoui, vont défiler pendant trois semaines à la barre.
Qualifiant ce procès de «non-sens absolu», Me Julien Delarue, un autre avocat de Daniel Legrand, estime que son «seul mérite» serait d'avoir une décision d'acquittement motivée, ce que la loi n'obligeait pas à faire en 2005. Agé de 33 ans, Daniel Legrand fils est sans emploi et perçoit une allocation d'adulte handicapé. Il encourt vingt ans de réclusion criminelle.