Menu
Libération

Bruxelles inquiet de la schizophrénie de Paris

La Commission assure que la France «était d’accord» avec ses propositions et regrette l’hystérisation du débat.
par Jean Quatremer, De notre correspondant à Bruxelles
publié le 19 mai 2015 à 20h16

«La France soutient notre proposition, affirme Natasha Bertaud, porte-parole de la Commission européenne. Nous avons parlé avec le gouvernement français mardi, après les déclarations de Manuel Valls et de Bernard Cazeneuve, et il nous a répété qu'il était d'accord avec notre mécanisme contraignant de relocalisation des demandeurs d'asile afin de répartir l'effort entre les 28 Etats membres.» A Bruxelles, on est sidéré et inquiet de la tournure prise par le débat hexagonal, alors même que la proposition de l'exécutif européen répond justement à une demande française : «C'est manifestement le mot "quota" qui pose problème, alors même qu'il ne figure pas dans nos propositions. Il y a aussi une confusion avec l'immigration de travail», se rassure Natasha Bertaud.

De fait, la Commission a soigneusement évité d'utiliser le mot «quota», qui évoque trop le système américain ou canadien d'immigration économique, lui préférant celui de «relocalisation». Néanmoins, la réalité est la même : il s'agit de répartir de façon automatique l'effort du traitement des demandes d'asile entre les Etats européens, afin de soulager les pays qui sont sur la «ligne de front» (lire page 4). Mais il ne s'agit en aucun cas d'obliger les Etats à accorder l'asile, cette prérogative relevant des seules autorités nationales. Ni d'appliquer ce mécanisme aux étrangers qui viennent en Europe pour chercher du travail.

Egoïsmes. Jean-Claude Juncker, le président de l'exécutif européen, a fait preuve de courage politique dans cette affaire. Lassé des larmes de crocodiles versés par les Etats à la suite de chaque naufrage mortel en Méditerranée, il les place devant leur responsabilité: «Vous voulez de la solidarité, vous voulez faire front en commun, et bien assumez !» leur dit-il en substance. Les égoïsmes nationaux se sont encore manifestés lors du Conseil européen du 23 avril : si les chefs d'Etat et de gouvernement ont certes réclamé une «répartition d'urgence» des demandeurs d'asile, c'est seulement sur une «base volontaire». Vu l'état des opinions publiques chauffées à blanc par les populistes, c'était là la garantie que rien ne changerait.

Or, actuellement, seuls quelques pays assument le traitement de l’essentiel de la vague actuelle : l’Allemagne, la Suède, l’Italie, la France, le Danemark, la Hongrie, les Pays-Bas et l’Autriche. Dès lors, il n’est pas étonnant que la Grande-Bretagne, l’Espagne, la Pologne et la République Tchèque aient fait savoir qu’ils étaient opposés à tout système contraignant. Plus curieusement, la Hongrie, qui bénéficierait pourtant de ces quotas, s’y est aussi opposée au nom de la souveraineté nationale. Ce qui ne constitue pas une minorité de blocage suffisante, sachant que Londres, Dublin et Copenhague, qui ne participent qu’au coup par coup à la politique européenne d’immigration et d’asile, n’ont pas de droit de vote. Une opposition de la France permettrait cependant aux opposants d’atteindre la minorité de blocage nécessaire (soit 35 % des Etats, soit 35 % de la population).

Amateurisme. D'où l'inquiétude de la Commission devant le dérapage du débat français. Cela étant, Bruxelles a une part de responsabilité dans la tournure prise par les événements : en publiant ses propositions le 13 mai, la veille du long week-end de l'Ascension, elle n'a pas pu expliquer ce qu'elle voulait. C'est donc encore une fois Marine Le Pen, la présidente du FN, qui a donné le la du débat en dénonçant, dimanche, une «politique d'immigration massive» organisée par Bruxelles. Un amateurisme qui risque de torpiller les efforts de la Commission pour incarner l'intérêt général européen.

«L'Union européenne a besoin d'un système permanent qui permette le partage des demandeurs d'asile.» L'entourage de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, lors de la présentation du plan pour l'immigration

«Une telle approche ne peut que favoriser la traversée de la Méditerranée et encourager plus de personnes à mettre leur vie en péril.» Theresa May, la ministre de l'Intérieur britannique, opposée aux quotas

«L'idée européenne que quelqu'un puisse laisser des réfugiés pénétrer dans son pays pour ensuite les redistribuer dans d'autres Etats n'est pas équitable, elle est folle.» Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois

«Solidarité = répartition équitable des demandeurs d'asile en cas de crise. Pas de quota.» Tweet de Dimítris Avramópoulos, le commissaire européen aux Migrations, en français dans le texte, pour répéter la position de Bruxelles