Un soleil frais s'est levé sur la ville de Cahors, ce lundi matin de mars 2015. Dans un bar proche du palais de justice, la surexcitation est palpable. Sur toutes les lèvres, un seul nom : Matthias Belmon. Il y a les pro, les anti, les « entre les deux », personne d'indifférent. « Vous, les Parisiens, vous ne pouvez pas comprendre, lance un habitué. Les Belmon, c'est l'histoire de Cahors. Des gens… au-dessus de la mêlée. Beaux, intelligents, sympathiques. Et qui réussissaient tout. »
Le domaine viticole Belmont sur la petite commune de Goujounac. © Ulrich Lebœuf
Le 17 octobre 2011, Matthias Belmon, 35 ans, domicilié au hameau de Goujounac, à cinq cents mètres du domaine viticole Belmont (1), s’est levé à 3 heures du matin. A l’époque, seule sa femme, Marine, sait qu’il ne dort plus que deux à trois heures par nuit, se shoote aux médicaments, vit en zombie surmené et écrasé par le poids des responsabilités.
Comme un automate, il conduit trente kilomètres jusqu'à Cahors. A la porte de l'hôtel particulier de cinq étages, héritage familial, où habite seule sa sœur cadette Stéphan, 31 ans, il ne sait plus s'il a frappé. Il fait le code, monte les escaliers. Elle dort tout en haut. La suite, les gendarmes l'ont mille fois racontée. « Une scène de crime choquante. Les murs maculés de sang. » Stéphan est retrouvée morte dans le couloir du premier, étranglée. Matthias Belmon lui-même a appelé pour prévenir les gendarmes – « J'ai tué ma sœur. » Puis il s'est rendu chez sa mère qui l'a trouvé « comme un robot, sans vie».
La carrière Belmon sur la commune d'Aujols. © Ulrich Lebœuf
En salle d'audience
Dans le hall de la cour d'assises de Cahors, une avocate fait les cent pas. Jolie, blonde, en talons et robe noire, envahie par le stress. Maud Sécheresse, avec Maîtres Georges Catala et Sébastien Schapira, assure la défense de Matthias Belmon. Elle a peur que son client « passe mal » face aux jurés. « Dans sa famille, le premier commandement est de ne jamais poser un genou à terre. à avoir été élevé ainsi, à ne jamais montrer ses faiblesses, je crains qu'il ne réussisse pas à livrer son humanité. »
La salle d’audience est pleine à craquer. Les curieux se pressent, les gendarmes les refoulent. Il entre dans le box, yeux baissés. Son roux lumineux s’est teinté de gris, son fier visage est marqué. Mais toujours, malgré les trois années et demie de prison, la chemise parfaite, le maintien, les impeccables manières. Matthias Belmon, 38 ans, entame la semaine la plus longue de sa vie. Dans la famille, c’est le grand-père, Pierre, qui a fait prospérer les affaires: une entreprise de construction, une agence immobilière, une carrière. Le père, Christian, a poursuivi l’ascension et relancé la vigne, le domaine Belmont, qui produit des crus côtés dans les guides. Ils sont morts, âge et maladie, à quatre années d’intervalle, en 2006 et 2010. Le fils, Matthias, a pris la relève à 34 ans.
Il a tué Stéphan le 17 octobre 2011, un an tout juste après son intronisation à la succession. La nuit du crime, les voisins ont entendu des bruits sourds. Ils ont cru que Stéphan « déplaçait ses meubles ». Que s'est-il passé entre ces murs où les enfants Belmon ont vécu leur adolescence ? Quelle folie a transformé ce garçon « chaleureux, rassembleur, non violent » en forcené meurtrier ? Matthias Belmon a 9 mois quand ses parents décident de quitter la région parisienne pour leur Lot natal. « Mon premier souvenir, c'est la naissance de Stéphan. J'avais 4 ans », démarre-il, debout droit dans le box. Une enfance à la campagne, à Goujounac, sous l'aile de son grand-père paternel, enfance « heureuse », « même si parfois je ne voyais pas assez papa et maman », accaparés par la relance des nombreuses affaires familiales.
L’hôtel particulier de la famille Belmon, à Cahors, où Matthias Belmon a étranglé sa sœur Stéphan, le 17 octobre 2011.
Les amis de Matthias, nombreux à défiler à la barre, décrivent l'« univers Belmon ». Des « valeurs » : la famille, la terre, le travail. Des « traditions » : la chasse, le rugby, la vigne. La mère est stricte, plus proche de la sœur. Le père, adulé, est un modèle. « Il y avait deux clans, les femmes d'un côté, les hommes de l'autre », dit un ami. Avec les années, des tensions s'accumulent dans le couple parental mais, taboues, elles ne sont « jamais évoquées ». « La première fois que j'ai vu quelqu'un pleurer dans ma famille, c'était mon grand-père, une semaine avant sa mort. J'avais 20 ans. J'ai réalisé alors qu'il était possible d'exprimer des affects. »
Matthias Belmon a du mal à admettre que c'est son père Christian qui l'a poussé à choisir, sur ses traces, des études d'architecte – « ça me plaisait aussi ». C'est à Paris, où il mène, en parallèle, un cursus commercial, qu'il rencontre Marine. Deux petits garçons naissent, en 2004 et 2006. Le grand-père vénéré meurt la même année. « Son décès a incité mon père à me demander de redescendre dans le Lot. »
Pour s'initier aux affaires, il passe ses journées en tête-à-tête avec son géniteur. « Nous étions de plus en plus proches. Je lui racontais tout, plus encore qu'à Marine. » Lorsque Christian Belmon développe un cancer, Matthias fait « un déni ». « J'ai toujours cru qu'il s'en sortirait. Il avait une telle force. » Le père meurt, le fils s'écroule. « Notre vie a basculé, dit Marine. Mon beau-père, c'était le pilier. Matthias a voulu les remplacer tous les deux, lui et le grand-père. Il a mis la barre beaucoup trop haut. »
Comme chien et chat
Avant son décès, le patriarche a réparti les biens. à Stéphan, l'agence immobilière. à Matthias, le cabinet d'architecte et la société de construction, activité la plus prospère. Aux deux, en commun, la carrière et les vignes. Que s'est-il joué alors entre le frère et la sœur ? Pas particulièrement proches dans l'enfance, l'âge adulte semble les avoir encore éloignés. Stéphan, jolie fille célibataire aux mêmes cheveux blonds-roux ondulés que son frère est « un fort caractère, une bonne vivante, impulsive, marchant aux coups de cœur ».
Matthias, lui, est décrit comme « plus posé, calme, organisé, sérieux, bon gestionnaire». La communication entre eux est compliquée. « Il avait des réflexes protecteurs », disent les amis, mais sa sœur « revendiquait sa liberté » et, sur la fin, «l'évitait pour ne pas avoir à discuter affaires avec lui». « Ils ne s'entendaient pas, tranche leur mère, Françoise, brushing blond, chemise en soie, port altier. C'était une question de pouvoir : Stéphan ne voulait pas laisser la société de construction à son frère. Et puis elle voulait garder la vigne pour des raisons sentimentales. Lui doutait de cette activité peu rentable.»
Lorsque la mère parle devant la cour d'assises, son fils baisse la tête. Elle l'a déjà dit plusieurs fois, elle pense qu'il a « prémédité » son acte. « Quand on voit tout ce qu'il avait emporté avec lui, on ne peut pas imaginer autre chose. » Françoise Belmon fait référence à la présence d'une cagoule, de gants, d'une lampe torche et d'une corde dans le coffre de la voiture de Matthias.
D'autres témoins disent qu'il s'agissait d'un matériel habituel pour la chasse, elle n'y croit pas. Assise devant le box, l'avocate Maud Sécheresse secoue la tête. Elle voit le regard des jurés, elle sait le poids que ce témoignage de la mère peut avoir. Mais revient à la barre Marine, l'épouse, restée aux côtés de Matthias. « Un homme précieux, un mari et un père extraordinaire. » D'une voix étouffée de larmes, elle raconte leur «descente aux enfers». «Après la mort de son père, il voulait que je rassure tout le monde, que je dise que, s'il maigrissait, c'est parce qu'il faisait beaucoup de sport. Mais il ne faisait aucun sport : il vomissait tout ce qu'il mangeait, et il ne dormait plus. Plus rien ne l'intéressait, ni ses enfants, ni ses amis, ni moi. Il ne pensait qu'aux entreprises à faire tourner, aux salariés à gérer. Et au fait qu'il devait parler à sa sœur… de la vigne, de la carrière, et qu'il n'y arrivait pas. C'était devenu une obsession : chercher à joindre sa sœur.»
Le week-end précédant le meurtre, à nouveau, il n'a pas réussi à la voir. Dans la nuit du dimanche au lundi, il s'est réveillé presque aussitôt après s'être endormi. « Une panique intense. J'avais besoin que Stéphan m'aide, me dise "je suis avec toi". » La présidente de la cour d'assises lui demande de raconter ce qui s'est passé à l'intérieur de l'hôtel particulier, il répond « trou noir ». « Je lui ai dit que je voulais lui parler, elle a refusé. Ensuite, j'ai des flashs, mais le cœur de la scène me fait peur. Cette violence, je ne l'avais jamais ressentie. »
Frère et sœur se sont battus à mort, elle l'a mordu jusqu'à lui sectionner une phalange de l'annulaire. A un enquêteur, il a dit qu'en voyant le morceau de doigt tomber, il a été pris « d'une rage ». Ça, et les mots qu'aurait prononcés sa sœur : « Tu ne seras jamais papa. » La présidente poursuit : « Lorsque vous lui avez passé la corde autour du cou, vous aviez l'intention de lui donner la mort ? » – « Je crois que je n'avais plus de conscience. Je n'ai jamais pensé que je voulais la tuer. » Matthias est resté ensuite de longues minutes à côté de Stéphan. Il lui a fermé les yeux.
Du devoir d’excellence
Quatre experts psychiatres ont examiné Matthias Belmon avant son procès. Unanimes, ils soulignent le poids d'un « état dépressif lourd », le « piège accablant du devoir d'excellence ». « Cette famille, c'est le contrôle, l'ambition, la réussite, résume l'un. Il doit remplacer une figure tutélaire, il n'y arrive pas, il explose. Les mots de sa sœur, "tu n'es pas à la hauteur", achèvent de soulever le clapet. »
Un des plus proches amis de Matthias le dit à sa manière. « Ce meurtre, ce n'est pas la rivalité pour la vigne, les affaires. C'est la pression, la filiation. Ce n'est pas le vin, c'est le sang. » Le vendredi 20 mars, à 15 heures, les jurés sont partis délibérer. Ils sont revenus trois heures après, un temps court. « Mauvais signe », se sont dit, d'un même souffle, les avocats Maud Sécheresse, Georges Catala et Sébastien Schapira. Mais la cour d'assises de Cahors a prononcé une peine finalement modérée : quinze ans. Matthias Belmon est resté figé. Puis a fondu en larmes. Il a décidé, quelques jours plus tard, qu'il ne ferait pas appel.
(1) Le «t» final est resté attaché au nom des vignes pluricentenaires, tandis qu’il a disparu des registres d’état civil de la famille, pourtant propriétaire depuis toujours.