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ETA : «J'ai essayé d'oublier mais les traces sont indélébiles»

Lors de la conférence pour la paix en Pays Basque organisée à l'Assemblée nationale, victimes et terroristes d'ETA ont témoigné, avec l'espoir de faire avancer le processus de paix.
ConfŽérence humanitaire pour la paix au Pays-Basque, à l'Assemblée nationale, le 11 juin. (Photo Marc Chaumeil)
publié le 11 juin 2015 à 20h01

Ce jeudi matin, dans le hall épuré du bâtiment Chaban-Delmas de l'Assemblée nationale, l'accent basque résonne aux quatre coins de la pièce. Plus de trois ans après la conférence d'Aiete à Saint-Sébastien, les partisans du processus de paix en Euskadi se sont retrouvés pour lancer un appel officiel au gouvernement français. Porté par des figures historiques impliquées dans la résolution de conflits et une poignée d'élus locaux de tous bords, l'événement a réuni pour la première fois toutes les parties touchées par la lutte armée au Pays Basque. Notamment des victimes et l'un des auteurs des attentats.

«Le conflit a généré une souffrance de part et d’autre»

«Je suis là pour mettre en lumière le changement opéré chez des prisonniers qui, longtemps mus par une énergie guerrière, ont réussi à tourner la page et à saisir les armes de la démocratie. Même si évidemment, le terroriste d'hier ne devient pas le saint d'aujourd'hui. Le passé militant ne s'efface pas mais il est important de dire que le conflit a généré de part et d'autre, beaucoup de douleur. Il n'est pas question de repentance ou de renier notre engagement, il s'agit surtout d'instaurer les règles de la démocratie.

J'ai déjà été confronté aux victimes d'ETA et à chaque fois, il se passe quelque chose. Ces gens sont marqués par un quart de seconde qui a changé leur vie. Toutes disent la douleur de s'être trouvées au mauvais moment au mauvais endroit. Il y a chez les victimes un besoin de raconter, de verbaliser leur douleur. Toutefois, lorsqu'on met l'émotion de côté, on sent qu'il est possible de construire quelque chose, ensemble. Certaines choses sont difficiles à entendre mais elles sont nécessaires. Le chemin de la paix passe par là.»

«J’ai vécu des années en ravalant la douleur»

« C’était en août 1982, trois semaines avant mon mariage. Une nuit, aux alentours de deux heures du matin, la guarda civile est venue m’arrêter chez moi, elle m’accusait d’aider l’ETA. Je suis restée en garde à vue 150 heures. J’ai subi la torture. Tu entends les autres détenus hurler de douleur, tu sais que ton tour va arriver. J’ai connu les sacs plastiques sur la tête, les électrodes, les flexions. On t’oblige à rester des heures et des heures debout, jusqu’à ce que tu t’écroules de fatigue. On te tire les cheveux. Et quand enfin tu es seule dans la cellule, tu n’as qu’une envie c’est de mourir. Au bout de sept jours, j’ai été libérée, sans inculpation, rien. J’ai essayé d’oublier, je me suis mariée. Mais les traces sont indélébiles. Ma vie a changé.

Un an après, mon frère Joxaen et son ami ont été kidnappés par des membres du Gal dans le pays basque nord (côté France, NLDR) où ils étaient réfugiés. C’était mon petit frère, il avait 20 ans. Le plus difficile c’est de s’imaginer ce qu’il a pu vivre. Pendant douze ans, 144 mois, 4500 jours, on a vécu avec l’angoisse. Sans savoir, au gré des rumeurs : un jour on nous disait qu’ils avaient été abandonnés dans la montagne, un autre jour noyés dans une rivière… Des années de souffrance, les pleurs de mes parents. Tant que tu n’as pas de preuve, tu te dis qu’il est encore vivant. Un jour on a su: ils avaient été tués et enterrés dans la chaux vive. Cela a été atroce jusqu’au bout. Quand les corps ont été retrouvés et identifiés, on attendait les cercueils mais la police n’a pas accepté. Nous n’avons pas pu dire au revoir.

J'ai vécu des années et des années en ravalant la douleur, la colère, la rancoeur. Un jour, un ami m'a dit: "nous ne sommes pas responsables de ce que nous ressentons, mais de ce que l'on fait de ce que l'on ressent". J'ai entamé un processus d'acceptation de la souffrance. C'est en réalité la seule façon de ne plus souffrir. C'est long, très dur, et ça se fait dans les larmes. Je me suis rapprochée d'autres victimes, nous avons trouvé en nous un endroit où, je vous assure, il n'y a plus de rancoeur, simplement de la douleur. Aujourd'hui, je ne veux pas lutter contre, mais en faveur de. J'interviens dans les écoles depuis quelques années, depuis le jour où j'ai compris que mon témoignage pouvait servir, de savoir qu'on peut respecter les personnes qui nous ont fait souffrir. Je n'ai jamais revu de garde civil. Je voudrais y arriver un jour, mais je ne suis pas encore prête. Je ne peux pas.»

«Il faut qu’on utilise ce qui nous est arrivé pour vivre»

«A l’époque, j’avais 24 ans, marié deux enfants, de 10 mois et trois ans. J’étais boucher dans le supermarché. En temps normal, je travaillais le matin, mais ce jour-là, exceptionnellement, j’avais échangé à la demande d’un collègue. Donc cet après-midi-là, j’étais à mon poste. Une voiture piégée a explosé devant le magasin. Je me souviens d’un énorme cratère. J’avais les mains brûlées, le visage également. On m’a fait des greffes de la peau. Lors des opérations, j’ai contracté deux hépatites.

A l’hôpital, j’ai fait la connaissance d’autres victimes, de leur famille. En retournant à l’Hipercor ensuite, les gens venaient me trouver pour en parler. Tu prends conscience d’un coup de tous les autres attentats et des souffrances engendrées. Je me suis engagée dans l’assistance aux victimes. Je peux vous dire que de toutes celles que j’ai rencontrées, 99 % veulent que plus personne n’ait à vivre ce qu’elles ont vécu. Il faut que les coupables soient punis pour leurs actes, bien entendu. Mais dans le respect de la loi, nous sommes dans des états de droit.

Je ne pense pas que nous, victimes, devions jouer un rôle politique, non. Nous devons apprendre à survivre, à être résistants et résilients. Il faut qu'on utilise ce qui nous est arrivé pour vivre. Cela s'arrête là. Il y a trois ans, l'un des quatre terroristes de l'Hipercor a demandé à me rencontrer. J'en ai discuté avec ma famille, mon fils m'a dit: "va le voir". J'ai accepté. Si cet assassin veut me parler, je dois lui dire oui. Toutes les victimes ne sont pas d'accord avec moi, mais beaucoup le sont, et je suis allé le voir, avec leur mandat. La conversation a duré une heure et demie. Je ne peux pas tout vous raconter, ce serait trop long. Je lui ai demandé pourquoi, pourquoi cet attentat. Il m'a expliqué, m'a demandé pardon. Le pardon, pour moi, cela ne représente pas grand chose car je ne suis pas catholique. Mais sa repentance, évidemment, je l'attendais.

Je le répète. La plupart des victimes veulent que plus personne n’ait à souffrir ce que nous avons enduré. Mais nous ne sommes pas tous là aujourd’hui. Il manque 1000 morts.»