Ce jeudi, Manuel Valls présente la «stratégie numérique» du gouvernement, à l'issue de la remise par le Conseil national du numérique (CNNum) d'un rapport listant des propositions pour une «politique européenne et française de la transition numérique». Benoît Thieulin, le président du CNNum, répond à Libération.
A quoi sert votre rapport ?
Le numérique n’est plus un secteur, c’est une transformation générale de l’économie et de la société. Il fallait un travail global de réflexion stratégique. L’objectif était de consulter l’écosystème numérique, puis de livrer des recommandations pour pousser à des modifications, soit des lois existantes et à venir, soit, pour les grands principes, dans une grande loi sur le numérique.
Y a-t-il une approche française et européenne face à celle des Américains moins régulatrice ?
Il y avait, chez les pères fondateurs d’Internet et du Web, un projet d’autonomie politique, de mise en réseau, de partage de la connaissance. Et le Web, c’est européen, on ne le dit jamais… Vingt ans plus tard, pour une partie de la Silicon Valley, la disruption est le levier d’une totale dérégulation. Cela pose un vrai problème de concurrence avec les grands services publics incapables de s’adapter à l’innovation. Aujourd’hui, il faut, de la part des puissances publiques, une accélération dans la capacité à améliorer les interfaces et les services rendus.
Vous plaidez pour repolitiser ces débats. C’est l’ère du désenchantement ?
L’Internet est sorti du temps de l’innocence. Pendant vingt ans, les combats étaient simples : l’enjeu était de convaincre ceux qui ne l’étaient pas du fait que nous vivions une transformation sans précédent. Nous avons gagné. Aujourd’hui, quel est le numérique que nous voulons ? Dire qu’il faut politiser, c’est dire qu’il n’y a pas de déterminisme technologique, que c’est à nous de choisir entre les évolutions possibles de la transformation numérique. Il y a une vision libéralo-libertaire, celle de quelques grandes plateformes, et une vision qui réfléchit davantage à la manière dont on doit encadrer ces pratiques et se pose la question de la responsabilité sociale, économique, environnementale.
Sur la loi antiterroriste, on ne vous a pas écouté…
Nous l’avons été davantage sur les questions de fiscalité, d’éducation, d’innovation… Et c’est aussi parce que nous avons émis plusieurs avis défavorables que l’écosystème numérique nous a jugés légitimes pour faire ce travail de concertation. La neutralité du Net, la loyauté des plateformes, la question des biens communs sont des sujets essentiels. J’espère bien que le gouvernement montrera que sur ces questions, il nous aura, cette fois-ci, écoutés.