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décryptage

Migrants : toujours autant de «fermeté» et un peu plus d'«humanité»

Les ministères de l'Intérieur et du Logement ont présenté ce mercredi un plan censé améliorer la prise en charge des demandeurs d'asile. Mais aussi de multiplier les expulsions.
Des migrants évacués du jardin public de l'église Saint-Bernard, à Paris, le 5 juin 2015 (Photo Thomas Samson. AFP)
publié le 17 juin 2015 à 14h02

«Humanité et fermeté» : le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve a tenté ce mercredi de donner un peu de consistance à cette «humanité», délaissée depuis la médiatisation des problèmes des migrants en France. Associé à sa collègue du Logement, Sylvia Pinel, le locataire de la place Beauvau a présenté en Conseil des ministres un plan d'urgence pour répondre à une «crise humanitaire sans précédent», illustrée par les drames à répétition en Méditerranée.

Deux axes sont évoqués : mieux prendre en charge les demandeurs d'asile et renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière. Un jeu d'équilibriste délicat. Il s'agit à la fois de rattraper le retard français pour se mettre en conformité avec les règlements européens, mais aussi d'afficher de la «fermeté» et de donner des gages aux droites extrêmes dans un débat vicié par les postures et approximations.

Les mots employés au ministère de l'Intérieur («Renouer avec la tradition française de l'asile», «Ne pas accepter que la rue soit un lieu d'habitation») sont toutefois une forme de prise de conscience : la gestion des migrants à Calais et à Paris n'est pas adaptée, voire contre-productive. La course-poursuite absurde menée par les forces de l'ordre depuis deux semaines dans le nord de la capitale n'en est que la dernière illustration.

Des places supplémentaires en centres d’accueil

Les services de Bernard Cazeneuve et Sylvia Pinel mettent en œuvre des moyens inédits pour tenter d’améliorer les choses. Première mesure, la plus emblématique : la création de places supplémentaires en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), réservés aux personnes ayant déposé un dossier. On en compte aujourd’hui 25 000, alors que les nouvelles demandes, depuis 2010, fluctuent entre 50 000 et 65 000 par an. Le gouvernement s’engage à construire 4 000 places supplémentaires d’ici fin 2016. Ce qui, en plus des 4 200 déjà sur les rails, devrait porter la capacité du parc d’accueil à quelque 34 000 places. Un doublement en dix ans.

«On aura un dispositif suffisamment important pour faire face aux besoins», veut-on croire place Beauvau, où l'on table aussi sur le raccourcissement des délais d'instruction des demandes d'asile et le renforcement des expulsions des déboutés pour libérer des places. Toutefois, le recours à l'hébergement d'urgence, moins adapté voire plus coûteux quand il se fait dans des hôtels, continuera à avoir cours.

L'hébergement d'urgence, censé être réservé aux migrants en transit (c'est-à-dire qui ne veulent pas demander l'asile en France) et à ceux qui n'ont pas encore engagé une procédure, va aussi faire l'objet d'un effort soutenu. 1 500 places dédiées pour les migrants de Calais et de Paris vont voir le jour. «Il y aura une différence notable avec les solutions proposées aujourd'hui : les personnes seront suivies, accompagnées et orientées vers les dispositifs les plus adaptés, ou éloignées du territoire», soutient le ministère du Logement. La crise récente autour des migrants de la Chapelle a révélé l'inadaptation des places débloquées pour les demandeurs d'asile dans les centres pour SDF et autres hôtels sociaux.

La proposition d’Hidalgo repoussée

«La majorité de ces 1 500 places seront ouvertes dans les trois mois, principalement en Ile-de-France», affirment les services de Sylvia Pinel. Des terrains publics et des dispositifs hivernaux devraient être mobilisés. Pas question, donc, de créer un centre d'accueil ad hoc, comme l'avait proposé la maire de Paris Anne Hidalgo. Mais quid de l'accompagnement des migrants qui rejoindraient ces structures ? La réponse reste floue. «On aura besoin de moyens conséquents pour que les agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) puissent faire ce travail de diagnostic», reconnaît-on à Beauvau. Des tractations sont en cours avec Bercy, mais aucun chiffrage précis n'est disponible.

A Calais, une «maison de l'asile» pour informer les migrants de leurs droits devrait sortir de terre. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), chargé d'examiner les demandes d'asile, pourrait bénéficier de 10 à 20 recrutements, en plus des 55 prévus en 2015, afin d'accélérer le traitement des dossiers. Enfin, et c'est une nouveauté, le gouvernement va créer des places d'accueil dédiées pour les personnes accédant au statut de réfugié. Jusqu'alors, celles-ci restaient dans les Cada ou à la rue. 5 000 places de logement «accompagné» verront le jour d'ici à 2017, notamment dans «des logements vacants du parc social en zone détendue». Comprendre : les réfugiés seront répartis sur le territoire français, en dehors des grandes métropoles.

L’assignation à résidence pour les déboutés de l’asile

Le troisième volet du plan gouvernemental s'attache à rassurer une opinion publique tétanisée par la crainte d'un «afflux de clandestins». Il s'agit de «lutter avec détermination contre l'immigration irrégulière». Le ministère de l'Intérieur se réjouit d'ailleurs d'avoir procédé à davantage d'éloignements contraints que sous Nicolas Sarkozy : + 13% en 2014 par rapport à 2012. «On a des résultats, il faut accroître les efforts.»

Beauvau souhaite remettre au goût du jour les aides au retour (quelques centaines d'euros), «dévoyées lorsqu'elles étaient fournies à des ressortissants Bulgares et Roumains», qui pouvaient ensuite revenir en France. «Un objectif minimal de versement de 8 000 aides au retour vers des pays extérieurs à l'UE, contre 4 000 en 2014, est visé.» Les contrôles d'identité à Calais, dans les gares et sur les routes, vont se multiplier. Par ailleurs, le Quai d'Orsay devra «renforcer l'action vis-à-vis des pays d'origine pour obtenir des laissez-passer lors des opérations d'éloignement».

Enfin, le gouvernement veut s'attaquer au «problème» des déboutés de l'asile en créant des «places d'hébergement spécifiques pour ce public». Aujourd'hui, selon le ministère de l'Intérieur, seuls «10% à 20% des déboutés» (qui représentent plus des deux tiers des dossiers d'asile) quittent effectivement la France. «C'est trop peu», tranche Beauvau, qui veut développer l'assignation à résidence (pour une durée maximale de quarante-cinq jours) avant d'expulser les personnes.