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Libération

Le système Balkany mis sur le tapis par le contrat en or de Teddy Riner

Fondé en 1983 par Patrick Balkany et financé par la ville des Hauts-de-Seine, le club local offre près de 30 000 euros mensuel au judoka, qui combat peu pour Levallois.
publié le 18 juin 2015 à 20h06

Légende vivante du judo, mascotte olympique, homme-sandwich : Teddy Riner pèse 130 kg sur la balance et près de 30 000 euros par mois sur les finances municipales de Levallois. Des émoluments qui ont ému la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France, qui se demande s’il est raisonnable qu’autant d’argent public vienne remplir les poches du septuple champion du monde.

Le salaire de Riner est tout sauf une surprise. En revanche, son impact sur les finances de son club (financé à près de 60 % par la ville dirigée par Patrick Balkany) n'avait, jusque-là, jamais été questionné. D'autant que le salaire du Guadeloupéen grèverait les finances du Levallois Sporting Club (LSC) selon le rapport des magistrats que Libération a pu consulter, contribuant à la «détérioration de la situation financière du LSC», entre 2008 et 2013.

Stratosphérique

Ce qui n'empêche pas le club d'être particulièrement généreux. Au-delà des primes de résultats (46 000 euros pour un Championnat d'Europe remporté, 15 % d'augmentation pour l'or aux JO) et son salaire net de 24 000 euros jusqu'en 2018, l'idole bénéficie d'une aide au logement de 1 900 euros mensuel et de 880 euros pour la location et l'entretien d'une voiture. Des avantages en nature encaissés en cash par Riner, qui vit à Paris et possède déjà deux véhicules. En contrepartie, il s'était engagé à citer «le club ou la ville de Levallois dans les médias».

Certes, le nounours géant des brioches Pasquier (l’un de ses sponsors, avec entre autres, Adidas, les boissons Powerade et la Banque des Antilles françaises) aime l’argent, et ne l’a jamais caché. Quitte à faire grincer quelques dents chez les gardiens du temple, qui ont toujours eu du mal avec son style décomplexé, sur et en dehors des tapis.

L'Equipe estime ses revenus commerciaux à 1,7 million d'euros en 2014. Conséquent, mais insuffisant pour intégrer le top 50 des sportifs français les mieux payés. Tout est donc une question de perspective. Dans le microcosme du judo de haut niveau, «M. Y.», comme le surnomme le rapport pour ne pas le stigmatiser, passe pour un milliardaire, la plupart des judokas pros se contentant de bourses faméliques.

Ramenée à l’échelle des autres sports, la rémunération de Riner passerait presque pour misérable, grosso modo équivalente à celle d’un bon joueur de Ligue 2. Seulement voilà, les clubs de foot sont financés avec de l’argent privé, et, surtout, Riner ne joue pas tous les week-ends avec son club, loin de là.

Au niveau stratosphérique auquel il évolue, ses sorties annuelles sur les tatamis se comptent sur les doigts de la main. Pour deux raisons : la crainte des blessures et l'obligation stratégique de ne pas trop se montrer avant les grands rendez-vous internationaux. Il privilégie donc son kimono floqué du coq. Sa dernière apparition sous les couleurs de Levallois remonte à novembre, pour une rare démonstration d'autorité en championnat de France, qu'il snobe d'ordinaire. Comme le reste des titulaires de l'équipe de France, Teddy Riner s'entraîne presque exclusivement sur les tapis de l'Institut national du sport et de la performance, qu'il a intégré à 15 ans. Il n'a donc aucun lien fusionnel avec le LSC. Ce qui rend l'argumentation de Bertrand Percie du Sert, président du LSC, particulièrement ridicule : «Heureusement qu'il y a des clubs comme nous pour fabriquer des champions du monde.»

Cette «affaire» est surtout révélatrice des délires de grandeur du club de Levallois, fondé en 1983 par Patrick Balkany, tout juste élu maire. Avec ses 17 000 adhérents, le LSC se targue d'être le «plus grand club omnisports français». Mais affiche un déficit chronique et ne survit que grâce aux subventions municipales (plus de 6 millions d'euros en 2014, en augmentation constante). Longtemps présidé par Jean-Pierre Aubry, ancien bras droit de Balkany et mis en examen pour «blanchiment de fraude fiscale», le club s'est lancé il y a une dizaine d'années dans une hasardeuse stratégie orientée vers le haut niveau. En 2009, Balkany suggère lui-même le recrutement d'un judoka professionnel. Deux mois plus tard, Riner, alors au Racing, signe à Levallois. La ville n'a jamais payé aussi cher pour un sportif.

«Surenchère salariale»

Mais Riner n'est pas seul responsable du déficit abyssal. La section «judo», qui compte 9 athlètes de haut niveau, dont 5 titulaires chez les Bleus, affiche un déficit moyen de 800 000 euros par an. Une stratégie vertement critiquée par la chambre régionale des comptes, qui dénonce une «surenchère salariale» entre le LSC et le Lagardère Paris Racing : des judokas ont alterné les contrats entre les deux clubs, au gré des revalorisations salariales. Avec une nuance : le Racing est essentiellement financé par des ressources privées, et non le LSC, sous perfusion de la mairie.