Si l'on juge sur les débats qui ont surgi pendant le dernier Festival de Cannes, le cinéma était moins le cœur de joutes critiques enfiévrées que le prétexte à de fugaces guéguerres autour de la question de lever ou baisser le pouce face au film qu'on venait de voir quinze secondes avant. Le «j'aime-j'aime pas» stroboscopique a donné le tempo de la discussion cinéphile qui a glissé clairement vers la twittosphère. On l'a ressenti au moment de la première projection du Fils de Saul, de László Nemes, premier film qui osait la représentation fictionnée d'un camp de concentration à travers le point de vue d'un membre d'un Sonderkommando. On imagine mal un tel geste ne pas être au moins un tant soit peu commenté et âprement débattu. Or, la discussion n'aura duré que le temps d'une soirée. On verra si cela se reproduit à sa sortie, le 4 novembre, mais si on doit analyser le phénomène, on peut se demander s'il ne peut y avoir aujourd'hui d'effusion que dans la pure adhésion unanime et quasiment plus jamais dans l'interrogation collective. Ce fut le cas pour des films aussi discutés que la Grande Bouffe de Ferreri, la Haine de Kassovitz ou Crash de Cronenberg.
Le débat s'est déplacé sur du périphérique. La poussée de fièvre et les arguments concernent soit des détails liés à la fabrication du film lui-même (rappelons les conflits ouverts pour la Vie d'Adèle entre Abdellatif Kechiche et ses équipes techniques et son casting) soit un chaînon dysfonctionnel de la promo (l'Antichrist de Lars von Trier ayant moins choqué que les déclarations de sympathie hitlérienne de ce dernier pendant la conférence de presse cannoise) ou sont inclus dans le package du marketing (comme pour Welcome to New York d'Abel Ferrara sur DSK ou cette année la promesse d'un porno en 3D avec le Love de Gaspar Noé). Certes, des polémiques ont pu surgir au cas par cas, lorsque des minorités se jugent offensées (des associations homosexuelles contre le Brüno de Sacha Baron Coen), mais rien de comparable au tsunami d'articles suscité par le texte de Vincent Maraval sur le salaire trop élevé des stars françaises en 201 2. Ce «débat» relevait du même esprit manichéen qui oppose les pour et les contre, les choqués ou ceux qui s'en fichent dans un même élan moralisateur. On dit aux «gens» comment ils doivent vivre mais on leur donne en définitive peu d'espace ou d'occasion pour penser par eux-mêmes.