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Libération
EDITORIAL

Poncifs

publié le 19 juin 2015 à 19h56

Comment prendre l’avantage dans un débat, quel qu’il soit ? Commencez par dire aux micros qu’on vous empêche de parler, que la bien-pensance vous bâillonne, que le «politiquement correct» étouffe la liberté. Continuez en expliquant - même si c’est contradictoire - que le niveau de la discussion s’est effondré parce que tout le monde peut dire n’importe quoi, que les petites phrases et les polémiques éclairs brouillent l’écoute, que la cacophonie engendrée par les réseaux sociaux et la télévision empêche toute discussion sérieuse. Une fois ces poncifs assénés avec suffisamment de force, vous tiendrez le rôle du penseur libre et profond, celui qu’on veut soi-disant faire taire, celui qui résiste à la «dictature de l’éphémère», celui qui se place du côté de la pensée véritable contre les faux-semblants de la société du spectacle. Comme l’aurait écrit Flaubert dans un nouveau dictionnaire des idées reçues : «Débat médiatique : tonner contre.» Ces clichés commodes cachent une vérité plus complexe : les à-peu-près, les outrances, les postures artificielles sont légion dans la «conversation démocratique» qui se déroule sur la scène publique. Mais à côté des poses caricaturales, celui qui veut bien s’en donner la peine trouvera, dans les journaux, à la télévision, sur le Net, un nombre considérable d’interventions intelligentes, d’articles scrupuleux, de tribunes réfléchies, d’avis d’experts et de données utiles accessibles en un clic. L’éternel lamento sur la qualité du débat n’est qu’une version à peine sophistiquée du «c’était mieux avant», qui ne résiste pas cinq minutes à un examen sérieux. Croit-on que le débat dans les années 30 était moins hystérique ? La démocratie parfaite n’existera jamais, pas plus que le débat idéal. Seuls s’en étonnent ceux qui rêvent d’un impossible et dangereux retour en arrière.