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à la barre

Octuple infanticide : «On communiquait peu avec mon mari»

Dominique Cottrez comparaît depuis ce jeudi devant la cour d'assises de Douai pour le meurtre de huit de ses bébés.
Dominique Cottrez au palais de justice de Douai, jeudi. (Photo Aimée Thirion)
publié le 25 juin 2015 à 21h23

Elle arrive en larmes. Un mur d’appareils photo et de caméras capte son effondrement. Son corps tremble, elle ne peut s’arrêter de pleurer. Dominique Cottrez, 51 ans, a tué huit de ses bébés, entre 1989 et 2000. Elle les a étranglés à la naissance, après avoir dissimulé ses grossesses. Depuis ce jeudi, et pendant une semaine, elle est jugée devant la cour d’assises de Douai (Nord) pour meurtres avec préméditation. Les magistrats voudraient des explications. Ils recueillent des sanglots.

Elle n'a pas les mots. La présidente de la cour d'assises lui demande de décrire son enfance, elle murmure : «normale». Un avocat de la partie civile lui rappelle les relations sexuelles imposées par son père dès ses 8 ans, elle pleure : «Oui… Je sais que ce n'est pas une enfance normale.» L'avocat général l'interroge : comment son mari a-t-il découvert au bout de sept mois qu'elle était enceinte de leur deuxième fille (V.) ? Elle tente : «Je crois qu'il a compris. — Vous en avez parlé ?  — Non.  — Vous avez déjà employé avec lui l'expression "j'ai mes règles" ?  — Non. Jamais.»

Tout au long de la journée, la situation s'est répétée. Un avocat, un magistrat lui demande si elle a déjà raconté à quelqu'un ce qu'affirment tous ses frères et sœurs, à savoir qu'elle était une enfant non désirée par ses parents, un «accident». «Non», jamais raconté. Si elle a pu évoquer un jour avec ses proches la sensation qu'elle avait à l'école d'être rejetée, car «différente des autres», «déjà corpulente». «Non.» Si elle a pu dire à son mari qu'elle trouvait «difficiles» ses demandes très fréquentes de rapports sexuels. «Non.» Si, après la naissance de V., elle a trouvé une oreille pour reparler du fait qu'elle avait caché à tous cette grossesse. «Non.»

«On ne parlait pas beaucoup avec mes parents à la maison.» «On communiquait peu avec mon mari.» «A la maternité, personne ne m'a posé de questions après la naissance de V.», répond inlassablement l'accusée. Elle se tourne vers les uns, vers les autres. Tente de faire de son mieux, de leur dire quand même quelque chose. De leur trouver un commentaire sur le silence de sa vie.

Dévotion sans limites

Dominique Cottrez a grandi sans mots, pas sans intelligence. Bonne élève, sage, toujours adaptée. Bonne collègue, la «perle» des aides-soignantes, disent ses anciennes chefs. Sensible, «à l'écoute» des personnes âgées qu'elle assiste à domicile, et qui la trouvent «douce», «gentille», «très proche». Dominique Cottrez, simplement, ne sait exister que cachée. Dans cette dévotion sans limites à ses malades et à sa famille : son mari, ses deux filles, ses trois petits-enfants. Dans ce mutisme qui a enveloppé toute son enfance. Derrière la muraille de ses 160 kilos. Derrière son douloureux secret.

Jeudi après-midi, un gendarme responsable du début de l'enquête est venu décrire la découverte des sacs plastiques contenant les corps «momifiés» des nourrissons. Deux sont d'abord déterrés dans l'ancienne propriété des parents de Dominique Cottrez – les nouveaux occupants voulaient y construire un bassin. Interrogée comme témoin, elle s'est livrée «très rapidement», raconte le gendarme. «Elle a dit : "Je suis la mère des deux nourrissons", et j'ai senti pour elle comme une délivrance. Je l'ai trouvée soulagée.» L'interrogatoire se poursuit. Dominique Cottrez parle «d'autres bébés, dans le garage» de sa maison. Six corps sont mis au jour. «Elle dit qu'ils étaient vivants à la naissance, qu'elle les a entendus pleurer, les a vus bouger, explique le gendarme. Qu'elle n'a pas regardé leur sexe, sauf pour le premier. Qu'elle a été traumatisée par une sage-femme lors de son premier accouchement. A ce stade de l'enquête, elle ne nous donne pas plus d'explications.»

La présidente de la cour d'assises projette des photographies sur les écrans vidéo de la salle d'audience. Le trou dans le jardin des parents. Le premier sac, de la marque de vêtements «Z». Le deuxième, «estampillé Mammouth, les supermarchés». Puis les autres sacs, ceux du garage, noirs. Le panier à linge sale de la salle de bains, le placard de la chambre du couple, où les sacs sont restés entreposés «plusieurs années», à deux mètres du lit. Le petit coin entre la garde-robe et la table de nuit où ils ont été aussi placés, «encore plus près».

Un peu plus tôt, la présidente avait montré une autre série de clichés. Dominique Cottrez à 9 ans, câlinant un chat. A 10 ans, gamine potelée mais gracieuse, en salopette. Avec son futur époux, Pierre-Marie, à 20 ans, joue contre joue. Elle a la tête légèrement penchée sur le côté, de jolies boucles souples sur le front, un sourire un peu triste aux lèvres.