C'est une femme qui a vécu emmurée dans le silence, et dont tout le monde parle. Une femme dont la souffrance semble hurler dès qu'on la regarde - ses 160 kilos pour 1,55 m, ses larmes, ses tremblements -, mais à qui l'on demande d'expliquer comme si tout était le fruit d'un cheminement rationnel, et «sans vous contredire» s'il vous plaît, comment, entre 1989 et 2000, elle a donné naissance à huit enfants puis les a étranglés.
Dominique Cottrez, 51 ans, jugée devant la cour d'assises de Douai depuis jeudi, s'efforce à répondre de son mieux à l'attente publique. Elle dit «oui» aux questions qui semblent attendre l'affirmative, «non» à celles tournées à l'inverse. Depuis 2010, date de la découverte des corps des nourrissons, elle a trouvé pour ceux qui la questionnent sans cesse deux explications.
D'abord, son premier accouchement. L'arrivée de sa fille E., «enfant désiré», pendant laquelle elle s'est sentie humiliée par une sage-femme qui lui aurait dit qu'il fallait «écarter sa graisse». Ensuite, l'inceste. Dominique Cottrez dit avoir été violée par son père à ses 8 ans. Des agressions répétées jusqu'à «une pause» à l'adolescence, puis reprises après la naissance d'E. «Mais à l'âge adulte, c'était différent, j'étais un peu consentante. J'aimais mon père», a-t-elle tenu à modérer. Comme si l'amour proclamé pouvait agir comme un écran à la haine, à l'insupportable. Son mari aussi, elle «l'aimait». Et lui aussi disposait de son corps sans tenir le moindre compte d'elle, la réveillant la nuit pour avoir des rapports, «forçant» quand elle ne voulait pas.
Mais voilà : aujourd'hui, ces explications, ceux qui l'interrogent ne les trouvent plus à la hauteur. Le procureur de la République de Douai, Eric Vaillant, en vient à douter de l'inceste. Les sœurs et beau-frère de Dominique Cottrez, premiers à avoir alerté sur la relation père-fille, clament à présent que «c'est faux». Car, dit la famille en substance, «rien ne peut justifier ce qu'elle a fait».
«Une personne qui a tué huit bébés ne peut pas ne pas rendre des comptes à la justice», martèle de son côté le procureur. Mais un tel drame humain se résout-il de manière mathématique ? Les explications, ce sont celles que Dominique Cottrez a données, mais celles aussi que son corps déformé crie à chaque instant. Ce corps que sa mère prenait plaisir à «gaver», que les deux hommes de sa vie utilisaient comme leur objet. Ce corps qui ne lui a jamais appartenu, si ce n'est, peut-être, par ses grossesses, ces bébés morts qu'elle gardait et déposait au pied du lit de son mari, son horrible secret.
Les explications, ce n’est peut-être pas seulement à Dominique Cottrez qu’il faut les demander. Mais aussi aux enseignants, médecins, parents, collègues, amis, qui pendant cinquante ans ont ignoré l’autodestruction de cette femme à leurs côtés.