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Libération
À la barre

Procès Cottrez : «Est-ce que vous n’avez pas inventé cette histoire d’inceste pour nous faire plaisir ?»

La femme de 51 ans jugée à Douai pour huit infanticides avait déclaré avoir été victime de viols commis par son père. Elle a finalement démenti ce lundi.
Dominique Cottrez, jugée depuis jeudi pour huit infanticides à Douai, le jour de l'ouverture de son procès. (Photo Philippe Huguen. AFP)
publié le 29 juin 2015 à 18h02

C’est une audience parfaitement conduite par la présidente de la cour d’assises, Anne Segond. Aux silences, sanglots, gouffres de douleur de l’accusée, elle appose douceur et minutieuse organisation. Laisse le temps à chacun, classe les thèmes un par un, cherche à aborder de la manière la plus rationnelle possible les versants opaques du terrible secret d’une femme.

Ce lundi après-midi, la présidente a ainsi décidé de débattre du «thème de l'inceste». Dominique Cottrez, 51 ans, est jugée devant la cour d'assises de Douai (Nord) depuis jeudi pour infanticides. Entre 1989 et 2000, elle a donné naissance à huit enfants, puis les a étranglés. Parmi les explications qu'elle a tenté de fournir à ceux qui la questionnaient, elle a expliqué avoir été violée par son père à ses 8 ans, puis régulièrement jusqu'à l'adolescence. Les agressions auraient stoppé, puis repris à l'âge adulte. «Mais, là, précise-t-elle, c'est différent, j'étais consentante.»

Le procureur de la République de Douai, Eric Vaillant, se lève. Il souligne les «nombreuses contradictions» entre les différentes auditions de l'accusée qui, pendant l'instruction, a été interrogée dix-sept fois. «Des attouchements, il y en a eu combien ? Vous nous avez donné toutes les versions. Et des pénétrations, une fois ou plusieurs fois ?» La toute petite voix aiguë de Dominique Cottrez souffle dans le micro. «Plusieurs fois. — Et jamais vous lui dites : "Arrête" ? — Non.» Le procureur descend de son estrade, se poste face à elle. «Madame, depuis le début de cette affaire, je suis comme les autres, je cherche une explication. Et quand vous avez fini, au bout de sept mois d'instruction, par nous parler de l'inceste, je l'avoue, j'ai été soulagé. Je me suis dit : "Ah, voilà pourquoi elle les a tués." Mais aujourd'hui, je me pose une question. Est-ce que vous ne nous avez pas dit ce qu'on avait envie d'entendre ? Est-ce que vous n'avez pas inventé cette histoire d'inceste pour nous faire plaisir ? Si vous vous êtes enferrée dans un mensonge, c'est très dur d'en sortir, mais c'est toujours possible. Si votre père a fait ça, c'est un immense salopard.»

Impression poisseuse

Frank Berton, l'avocat de Dominique Cottrez, se dresse à son tour. Le ténor lillois, carrure et voix qui en imposent, semble excédé. Par le procureur qui malmène sa cliente, par sa cliente qui ne parle pas, par l'impression poisseuse qui s'installe. «Alors voilà, maintenant on devrait amener la preuve de votre inceste, c'est la situation dans laquelle on nous met. Comme si c'était la seule raison de cet infanticide ! Comme si ça se prouvait, un inceste !»

Tout à coup, il s'arrête, un bras en l'air. Quelque chose vient de changer dans son regard. Il a décidé de s'approcher du gouffre, tout près. «Madame, jurez sur la tête de vos filles et de vos petits enfants que votre père vous a violée. — Non. — Vous jurez pas ? — Non.» L'avocat écarquille les yeux, stupéfait : «Il vous a pas violée.» La réponse est à peine audible. «Non.»

Dominique Cottrez fond en larmes. La présidente suspend la séance. L’accusée se tourne vers ses filles, son mari. Ils sont debout, figés, des statues pâles, à quatre pas d’elle. Ils semblent incapables de bouger, de parler. Le regard de leur mère, de leur femme, les supplie à travers les pleurs. Ils ne parviennent pas à la rejoindre.