Ils vous ont peut-être interpellés, ces visages en plan serré dans les pages de la presse ou placardés sur les murs du métro parisien depuis lundi. Des enfants, les yeux embués de larmes, le regard inquiet. Avec cette drôle d'injonction, sous forme de hashtag en lettres blanches : #Makeachildcry. Après deux jours de teasing, et pas mal de perplexité sur Twitter, Médecins du monde a révélé hier être à l'origine de cette campagne de pub à contre-pied, en dévoilant dans une seconde série d'affiches la raison de ces pleurs : la seringue ou l'otoscope – l'appareil utilisé pour examiner l'oreille – d'un docteur, voilà ce qui effraie les enfants, mais comme le proclame l'affiche, «faire pleurer un enfant, ça peut lui sauver la vie.»
Pour Françoise Sivignon, présidente de l'ONG, le pari consistait à susciter l'intérêt tout en se démarquant des actions de sensibilisation traditionnelles : «On avait envie, d'une façon démonstrative, de montrer que les enfants sont les victimes les plus exposées de la pauvreté, la violence et la maladie. On essaie de s'exprimer à travers des moyens de communication nouveaux, qui interpellent aussi des personnes plus jeunes.»
Attirer l'attention sur la santé des enfants est devenu indispensable ces dernières années pour les ONG prenant en charge cette question. Avec le regain de conflits chroniques et guerres, en particulier au Moyen-Orient et en Afrique, l'accès aux soins s'est détérioré. Sur le site mis en place à l'occasion de la campagne, Médecins du monde souligne que 230 millions d'enfants vivent dans des pays en crise ou en guerre. Ils constituent également la moitié des réfugiés au niveau mondial.
Mais au-delà de l'impact des guerres, c'est avant tout l'absence de traitements et structures médicales qui explique un nombre toujours élevé de morts infantiles : 4 millions d'enfants de moins de cinq ans perdent la vie chaque année de maladies pourtant non mortelles lorsqu'elles sont prises en charge. L'Unicef estime dans un rapport publié en juin qu'ils seront encore 68 millions à mourir d'ici à 2030 de causes évitables, essentiellement parmi les foyers pauvres et ruraux, deux fois plus exposés. Face à ces chiffres, Médecins du monde a choisi sur son site de faire un appel aux dons non pas par montant, mais par nombre d'enfants aidés : 40 euros permettent d'acheter 10 kits malnutrition, 160 euros financent 480 traitements contre la rougeole. Un moyen de remettre en perspective l'utilisation des fonds.
Si Françoise Sivignon reconnaît que les priorités n'ont pas encore été définies, elle pointe du doigt les maladies les plus fréquentes, «in fine liées à la pauvreté» : «Ce sont des maladies comme la rougeole, la diphtérie, le tétanos, la polio, qui seraient évitables grâce à une vaccination.» D'où l'idée de la campagne. «La réalité des enfants qu'on soigne, c'est la peur du geste médical, non pas du médecin en lui-même mais surtout de ce qu'il amène : des médicaments, des piqûres… Ce sont des choses qui peuvent a priori paraître traumatisantes. On les fait pleurer pour une bonne cause quelque part. La cause, c'est les protéger et leur donner un accès aux soins qui soit équitable.» Un souhait qui est encore loin d'être une réalité, puisqu'un enfant meurt toutes les sept secondes faute d'être soigné.
Des progrès notables mais lents
Alors que l'un des Objectifs du millénaire pour le développement, adopté par 193 Etats en 2000, visait à réduire de deux tiers la mortalité infantile chez les moins de 5 ans d'ici à 2015, seules l'Amérique latine et l'Asie de l'Est-Pacifique ont atteint cet objectif. En dépit de ce constat alarmant, l'action des ONG et le développement de politiques de santé dans certains Etats ont permis la prise en charge d'un nombre croissant d'enfants. Le taux de mortalité infantile, bien qu'il s'élève encore à 100 pour 1 000 en Afrique subsaharienne et de l'ouest, a en moyenne été divisé par deux en quinze ans, et la réduction de ce taux au niveau annuel s'accélère puisqu'il a plus que triplé depuis 1990. Les campagnes de vaccination ont aussi porté leurs fruits, avec une hausse notable du nombre d'enfants ayant désormais accès aux traitements. Dans le cas de la rougeole, l'accès au vaccin dans des territoires trop éloignés des services de santé existants a augmenté de près de 15% en dix ans.
L'autre enjeu, c'est d'éradiquer la malnutrition, à l'origine ou favorisant le développement des maladies de l'enfance courantes, comme la pneumonie ou le paludisme. Comme le souligne Françoise Sivignon, «on ajoute cette composante dans notre travail». Selon l'OMS, les problèmes de nutrition contribuent à près de 45% des décès chez les enfants de moins de cinq ans. Les dépistages se multiplient, en particulier dans des pays comme le Burkina Faso où plus de 400 000 enfants sont touchés par une malnutrition aiguë. La malnutrition chronique chez les enfants a pourtant diminué de 40% depuis 1990.
Des progrès que les ONG voudraient voir s'accélérer, et davantage initiés par les structures gouvernementales. En 1989, 195 Etats s'engageaient, en ratifiant la Convention relative aux droits de l'enfant, à «assurer à tous les enfants l'assistance médicale et les soins de santé nécessaires.» On est loin du compte.