Menu
Libération
Portrait

François Lambert, à la vie, à la mort

Vincent Lambertdossier
Le neveu de Vincent monte au créneau pour s’opposer aux parents de l’infirmier accidenté qui refusent toujours l’arrêt des soins.
François Lambert, chez lui, à Paris, début juin. (Jean-François Robert)
publié le 14 juillet 2015 à 17h46

Dans «l’affaire Lambert», on pourrait le qualifier de vilain petit canard, si le sujet n’était aussi lourd. François Lambert est le neveu de Vincent. Il est à part, réactif. Omniprésent aussi. Alors que les frères et sœurs de Vincent se cachent, lui répond aux journalistes, fait circuler avec efficacité l’info. Il se bat au grand jour pour que la vie de Vincent s’arrête en bousculant un peu le fatalisme des frères et sœurs, en soutenant Rachel, la femme de Vincent. Et, surtout, il ne s’en laisse pas compter par Pierre et Viviane, les parents de Vincent, ni par la fraternité Saint-Pie-X qui les appuie.

Ce jour-là, malgré la canicule, François Lambert, 34 ans, ne tient pas en place. Il s'en va sortir deux chiens au parc de Bercy, c'est son nouveau boulot. Et il attend, inquiet, les résultats de ses examens de 3e année de droit. Il vient de recevoir une convocation pour un conseil de famille à l'hôpital de Reims qui se tient ce mercredi. Surtout, avec ses avocats, il prépare une réponse aux recours déposés par les parents de Vincent contre la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). «C'est insupportable, il y a une décision de justice, et elle ne s'applique pas.» Pour lui, il n'y a aucun doute : «Jamais Vincent n'aurait voulu vivre ce qu'il vit. Etre un handicapé, un légume, jamais. Ce n'était pas sa personnalité. Le jour de son mariage, il était un peu malade. Il détestait ça.» Voilà. Comme une évidence. «Vincent était tellement indépendant. C'est devenu un ami. Nous étions, tous les deux, attirés par ce qui était à la marge, et je le voyais comme séparé du conglomérat familial.»

C’est bien l’expression qu’il faut : «conglomérat». Car dans la famille Lambert, tout est fait pour que l’on s’y perde. L’agonie sans fin de Vincent, depuis cet accident de voiture il y a sept ans, n’a pas seulement provoqué des clivages violents, elle a révélé les méandres d’une famille ubuesque, recomposée dans tous les sens, où se mélangent le poids des secrets, des ruptures, des combinaisons, des rancœurs, des doubles vies, des silences, mais aussi le poids de la religion. Peut-être est-ce parce que dans cette constellation sans queue ni tête il occupe un simple strapontin que François a pu s’en sortir ?

Reprenons : François est donc le fils de Marie-Geneviève, qui est la fille de Pierre et Renée Lambert. Car le père de Vincent a eu d'abord deux enfants, puis quatre autres avec son actuelle femme, Viviane Lambert, pendant que celle-ci était toujours mariée avec un autre homme, avec lequel elle avait déjà trois enfants. Vincent, au départ, s'appelait Vincent Philippon. «C'est à 6 ans que Vincent a appris qui était son père», raconte François, qui s'identifie à lui car, de son côté, il n'a rencontré son père qu'à l'âge de 15 ans. «Ma mère a eu une histoire à 20 ans avec un homme de la rue, qui a ensuite disparu.»

Bref, une famille comme un labyrinthe, mais qui aurait voulu renvoyer l'image d'une vraie famille. «Ma mère allait garder les enfants de Viviane, alors secrétaire de mon grand-père, sans savoir que c'était ses demi-frères ou sœurs», raconte François. Ou encore : «Vous savez, c'est mon grand-père qui a accouché ma mère.» Son grand-père ? «On a toujours eu de la tendresse pour lui, mais il n'avait pas de rôle. A l'hôpital, il l'appelait Colombo, car il était toujours avec le même imperméable. Pour ne pas dépenser d'argent, il prenait ses douches à l'hôpital.» Et la religion ? «Ils ont toujours été chez Pie-X».

Vincent, d'ailleurs, y a fait toutes ses études. Enfant, puis ado, il était interne dans un établissement de cette congrégation intégriste. Il revenait peu chez lui, trois, quatre fois par an. «En famille, il était transparent. C'était l'enfant du péché», insiste son neveu. Du péché ? Oui, parce que premier enfant «bâtard» de Viviane. François est plus jeune que Vincent, ils ont cinq ans de différence. Il a vécu avec sa mère seule, devenue sur le tard infirmière, puis a habité à Versailles et Paris. Sa vie n'a pas été simple. Il est allé dans des écoles spécialisées, a voyagé, a mis beaucoup de temps pour avoir son bac. Et il a aimé Vincent, qui avait l'âge d'un grand frère. «Vincent ne disait rien, il ne faisait que passer. Et, moi, on me prenait pour un être bizarre.» Vincent, ce Vincent qui aimait boire et fumer, Vincent qui conduisait vite, Vincent qui ne parlait pas beaucoup. «Mon grand-père l'ignorait. Il ne le regardait jamais dans les yeux.» Ou encore : «On était solitaire, tous les deux, et pas très à l'aise avec les filles», poursuit François, qui vit seul.

Il parle toujours et encore de l'affaire qui commence, en septembre 2008. «Je m'en souviens parfaitement, c'est ma mère qui m'a appelé en pleurs, disant que Vincent venait d'avoir un accident de voiture, près de Châlons-en-Champagne. J'ai été tout de suite le voir. Il était en réa, avec des tuyaux partout.» Ensuite ? «On ne savait pas ce qui se passait. On n'était pas au courant de la décision d'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation. Le 16 mai 2013, je reçois un texto de Marie [la sœur de Vincent, ndlr], à 8 h 01 exactement me disant que les parents de Vincent avaient pris la parole publiquement. J'ai passé la pire journée de ma vie à appeler les médias, à leur dire que ce que racontaient mes grands-parents n'était pas vrai. Si on ne fait rien, on est complice.» Les frères et sœurs ? «Ils sont tristes, sonnés, mais tétanisés.» «Au début, poursuit-il,personne ne disait rien, ne faisait rien, on laissait Pierre et Viviane tout faire et tout dire, et l'on s'écrasait», insiste François. «Puis, quand j'ai vu que mes plaintes étaient recevables, c'est comme si j'avais sorti la tête de l'eau. Me battre me maintient en vie. Je trouve insupportable tous ces coups que l'on donne à Vincent, c'est comme si je les recevais en direct.»

Depuis trois ans, François Lambert n'arrête plus. Il a débuté des études de droit, a engagé plusieurs milliers d'euros pour la cause qu'il défend. «Et là, [il vit] avec 400 euros par mois.» Il réfléchit à différentes alternatives pour contraindre l'hôpital à faire appliquer la décision du Conseil d'Etat puis de la CEDH. «Au début, j'allais souvent voir Vincent. Je parlais, je parlais tout seul, et puis je n'ai plus eu rien à dire. J'ai fait des compils de musique, je savais que nous aimions la même musique.» Mais quand on insiste, quand on lui demande «mais pourquoi tout ce combat ?», il lâche, un brin énervé : «Ils croient tous que je fais ça pour passer à la télé. Je fais ça pour ne pas être dévoré. Le fait d'être actif m'empêche de sombrer.»

26 janvier 1981 Naissance
29 septembre 2008 Accident de Vincent Lambert
Juin 2014 Validation par le Conseil d'Etat de la décision des médecins
5 juin 2015 La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) valide la décision du Conseil d'Etat
15 juillet Réunion de famille convoquée par les médecins à l'hôpital

Les plus lus