Patrick Baudouin, président d'honneur de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), est avocat, familier des affaires terroristes. Il a défendu des mis en examen en France et des victimes du terrorisme, notamment les familles des moines de Tibéhirine.
La notion de «projet d’attentat» existe-t-elle en droit pénal ?
La notion n’existe pas sous cette forme en droit pénal. Il n’y est pas question de «projet» en tant que tel, mais d’accumulation d’indices montrant la préparation d’un acte de terrorisme. Il s’agit de chercher une intention plutôt qu’un projet, qui suppose des éléments matériels avec des plans déterminés. Il suffit pour les enquêteurs de rassembler des échanges par Internet, des phrases ambiguës, des souhaits pour parler d’une intention, même sans éléments matériels.
D’où provient cette expression ?
Elle est insidieusement entrée dans le terrain politique, et dans l’opinion publique, puis dans le champ juridique, sans être reprise telle quelle dans les jugements ou les procédures. Un projet supposerait une définition précise avec une programmation. Or il peut rester extrêmement vague, fondé sur des intentions.
La notion est donc très élastique ?
C’est une remise en cause du fondement du droit pénal. Il faut, ou plutôt il fallait jusqu’à aujourd’hui, un début d’élément matériel. De plus en plus, on bascule dans un délit d’intention. L’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, intégrée dans le code pénal en 1996 aux lendemains des attentats de Saint-Michel, a dévié sur la simple prise en compte de l’élément intentionnel. Tarnac en est un bon exemple. C’est une déviation par rapport au droit pénal.
Le juge Marc Trévidic décrit de la façon suivante l'association de malfaiteurs dans son premier livre : «Un outil très efficace mais dangereux pour les libertés individuelles. On réprime non l'acte de terrorisme pas encore commis, mais la préparation de cet acte.»
L’intention est-elle pénalisée d’une manière similaire dans d’autres matières pénales ?
Non, cela n’existe que pour le terrorisme en France.
Comment l’expliquer ?
Nous sommes là au cœur du débat entre liberté et sécurité, au cœur de toutes les dérives. Au lieu d’avoir une réponse rationnelle, au lieu de comprendre les causes du terrorisme, non pour l’excuser mais pour l’appréhender et trouver des solutions, on est allés dans le sens d’une répression qui s’affranchit des libertés individuelles, qui restreint les libertés. La définition très laxiste et «fourre-tout» du terrorisme a permis de faciliter les poursuites au détriment du droit pénal. Tous les étudiants apprennent pourtant sur les bancs de la faculté que le droit pénal est d’interprétation stricte…
Il y a un mouvement d'ensemble : on joue sur le texte d'incrimination lui-même, qui risque dès lors d'être utilisé contre des innocents, et on renforce les mesures de surveillance, comme le gouvernement vient de le faire avec la loi sur le renseignement. Cela procède d'un tout, et porte atteinte à l'état du droit en matière terroriste. Je suis d'ailleurs troublé que ces annonces interviennent au moment où le Conseil constitutionnel examine ce texte de loi. Cela ajoute une pression supplémentaire, consciente ou inconsciente.
Nous avons encore peu d’éléments sur le projet, il faudra voir et vérifier. On ne peut pas avaler et avaliser tout ce qu’on nous dit. On perd la raison, et surtout, on nous la fait perdre.