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«2004, la loi sur le voile, j’ai 13 ans, alors je l’enlève. C’était violent»

Nargesse, 24 ans, Givors. Dans son casque : Petit frère, de I AM. Sur sa peau : un tatouage, la date du décès de son père.
publié le 31 juillet 2015 à 18h46

«Objectivement, Givors (Rhône-Alpes), c'est pas le plus bel endroit du monde mais quand je vois sur l'autoroute mes trois tours, j'ai les larmes aux yeux. Mes parents ont toujours compensé le fait qu'on passe nos étés au quartier : on a eu des Game Boy, quand personne n'en avait. Je me suis rendu compte du fossé avec les autres quand, en SVT, j'ai été incapable de décrire les plantes. Les autres enfants étaient habitués aux promenades en campagne : on n'a pas eu les mêmes vies. J'ai eu une prof en musique qui nous a appris Petit frère d'I AM. Franchement, là, on était fiers. On se disait : "Enfin, un texte qui parle de nos réalités." Mon père me lisait Hugo, Balzac ou le Coran. J'ai commencé à écrire à 18 ans, l'histoire de Youssef. Ça s'appelle Dans la peau d'un thug, je l'ai postée en chronique sur Facebook. On remanie la langue de Molière, on la plie à notre "vouloir dire", comme dirait Aimé Césaire. Ma langue à moi c'est un mélange d'argot, de ce qu'on est, de ce qu'on nous demande d'être. On nous demande de briller en société comme si avec l'argot, on ne brillait pas. 2004, la loi sur le voile, j'ai 13 ans, alors je l'enlève. C'était violent. Les garçons qui viennent toucher tes cheveux, je ne l'ai pas bien vécu. Une fois j'avais une longue robe chinoise, c'était à la mode, les signes asiatiques. La prof m'a dit qu'elle était ostentatoire. Je suis rentrée chez moi en larmes. J'ai été indignée des attentats, mais j'ai pas fait la manif du 11 janvier : tout à coup, on visait les quartiers, les musulmans, j'avais l'impression d'être un peu tout ça. Un truc qui m'est resté en travers de la gorge, c'était leur caricature des filles de Boko Haram où elles crient "Touchez pas à nos allocs". Moi ma mère elle a eu les allocs. On peut pas rire des dominés. On ne s'est jamais sentis représentés. Et pourtant je ne veux pas qu'on tue ces gens, même s'ils ont des idées pourries. Je voulais aller à la manif pour l'adoption du mariage pour tous, mais je n'avais pas envie qu'on me prenne en photo. Mais je suis militante et féministe. J'ai mon voile, mes piercings, les gens ne sont d'accord ni pour l'un ni pour l'autre, tant pis.»