Ils ne sont que quelques milliers à vivre dans ce bidonville de bois et de plastique, après avoir fui les conflits qui minent leurs pays (Syrie, Soudan, Erythrée). Tous les soirs, les quelque 3 000 habitants de la «jungle» de Calais tentent de traverser le tunnel sous la Manche pour rejoindre le Royaume-Uni, où ils imaginent trouver un avenir meilleur (lire aussi pages 4-5). Onze d'entre eux ont péri depuis début juin.
Face au problème, les responsables politiques semblent au mieux démunis, au pire dans l'outrance. De l'autre côté du Channel, l'extrême droite, chauffée à blanc par une presse tabloïd qui compare cette «invasion» migratoire à celle de Hitler en 1940, propose ainsi d'envoyer l'armée britannique à Calais. David Cameron, le Premier ministre conservateur, ne raisonne qu'en termes de sécurisation du tunnel. Côté français, on n'est pas en reste. L'ex-ministre du Travail Xavier Bertrand (LR) fustige l'inaction britannique et émet l'idée de «laisser partir les migrants» au Royaume-Uni, avant d'évoquer un «blocus maritime tout près des côtes libyennes». Henri Guaino, député LR dans les Yvelines, demande aux Britanniques de «prendre leur part du fardeau», alors que François Hollande résume : «Nous sommes devant la situation de réfugiés en grand nombre, dont nous devons tout faire pour qu'ils évitent de venir jusqu'à nous, tout en les traitant dignement.» Un numéro d'équilibriste qui illustre parfaitement l'absence de réflexion autour d'une politique migratoire commune. Pourtant, des solutions existent. Elles proviennent d'associations, mais aussi d'organismes publics, et dressent les pistes pour tenter de répondre, au-delà des effets d'annonce et des larmes de crocodile, à cette crise humaine.
Les solutions possibles
Dénoncer les accords franco-britanniques
Signé en 2003, quelques mois après la fermeture du centre de Sangatte, le traité du Touquet prévoit des contrôles communs menés par les autorités françaises et britanniques dans les ports maritimes des deux pays. Censé juguler l'immigration clandestine vers la Grande-Bretagne, ce texte est accusé d'avoir alimenté la crise à Calais. Début juillet, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) recommandait même de dénoncer ces accords bilatéraux qui ont conduit «à faire de la France le "bras policier" de la politique migratoire britannique». La CNCDH estime que cela «aboutit en pratique à interdire aux migrants de quitter [l'Hexagone]» et constitue une «atteinte à la substance même du droit d'asile». Pour Pierre Henry, directeur général de France Terre d'asile, «l'idéal» serait sûrement de «faire annuler l'accord du Touquet» : «La situation à Calais est le résultat d'un impensé européen, de l'égoïsme britannique et de l'abandon de la souveraineté française.»
Ouvrir un corridor humanitaire
vers l’Angleterre
Mais dénoncer cet accord prendrait du temps. «A défaut», Pierre Henry suggère donc d'ouvrir à Calais un «bureau d'asile commun» à la France et au Royaume-Uni. «Les Britanniques sont signataires de la convention de Genève [qui prévoit la protection pour les victimes de persécutions, ndlr], détaille-t-il. A eux de prendre leur part des migrants et de respecter leurs engagements.» L'idée est partagée par Christian Salomé, président de l'Auberge des migrants, une association qui intervient dans la «jungle» : «Il faut un corridor humanitaire pour les gens qui viennent de pays en guerre et qui ont de la famille ou des amis là-bas. Le but, c'est d'effectuer un traitement rapide des dossiers pour que les gens ne restent pas deux ans dans de telles conditions.»
Améliorer l’existant à Calais
La proposition ne fait pas consensus : faut-il rouvrir à Calais un centre d'accueil permanent pour les migrants, offrant gîte et couvert ? Treize ans après le démantèlement de Sangatte, la peur de «l'appel d'air» est toujours là. Un rapport remis un juin à Bernard Cazeneuve tranchait : «L'accès à un toit, même très sommaire, est un point fondamental», mais il ne saurait être un «préalable». Pierre Henry ne partage pas ces conclusions : «La "jungle" est un sous-camp. Il faut mettre en place une structure aux normes internationales.»
Fluidifier l’asile
Yasire a 22 ans. Soudanais du Darfour, il a demandé l'asile en France il y a trois mois. Pourtant, l'homme, qui vit dans la «jungle», essaie tous les soirs de rejoindre le Royaume-Uni. Il sait que l'examen de son dossier risque de traîner et qu'en attendant une réponse définitive, ce qui peut prendre deux ans, il devra peut-être dormir dehors. En Angleterre, imagine-t-il, «ça a l'air plus facile, on a un toit immédiatement». Ce raisonnement, ils sont nombreux à l'avoir. Le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), Pascal Brice, le reconnaît : il faut instituer une «culture de l'asile» dans le Pas-de-Calais. Autrement dit, faciliter les démarches en préfecture pour les migrants et traiter plus rapidement leurs dossiers. C'est un des objectifs de la nouvelle loi asile votée début juillet à l'Assemblée nationale. Elle vise à réduire le délai d'instruction maximal à neuf mois. Car si les points de tension se multiplient partout en Europe, c'est aussi parce que les Etats membres ne se sont pas encore adaptés à la nouvelle donne migratoire. Les procédures, touffues et loin d'être harmonisées, contribuent aussi à la création de points de fixation des étrangers et, par conséquent, à des situations humanitaires difficiles à gérer. L'affaire n'est pourtant pas insurmontable : les migrants arrivés illégalement dans l'UE en 2014 ne représentaient que 0,05 % de sa population.
Les solutions audacieuses
Organiser un véritable accueil
commun en Europe
C’est un premier pas, timide, vers ce qui pourrait constituer une politique migratoire européenne commune ne se résumant pas uniquement à dresser des murs de plus en plus élevés aux portes de l’Union, et dont le coût, selon le collectif Migrants Files, a représenté 13 milliards d’euros depuis 2000.
Après plusieurs semaines de négociations acharnées, le 20 juillet, les 28 membres de l'Union européenne se sont mis d'accord sur un mécanisme de «relocalisation» et de «réinstallation» des migrants. Objectif : soulager l'Italie et la Grèce qui, du fait de leur situation géographique, sont les principales portes d'accès maritimes pour les exilés. Et qui, selon le règlement de Dublin, sont obligés, en tant que pays de «première entrée», d'examiner en priorité les demandes d'asile. Une situation ingérable pour eux. Les dirigeants européens ont donc décidé d'ouvrir 32 256 places au titre de la relocalisation. Parmi elles, 12 000 seront fournies par l'Allemagne et 9 000 par la France. Ces pays, volontaires pour l'opération, s'engagent à étudier un certain nombre de dossiers de demande d'asile qui devaient en théorie échoir à la Grèce ou l'Italie. L'effort reste toutefois minime. De nombreux Etats, comme l'Autriche, la Hongrie ou encore l'Espagne, ont offert peu, voire aucune place.
Avant même la signature du compromis, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, se montrait dépité : «Vu l'ampleur du phénomène, donner une perspective de vie à 60 000 personnes [un chiffre qui n'a même pas été atteint, ndlr] est un effort modeste. Cela prouve que l'Europe n'est pas à la hauteur des principes qu'elle déclame.»
Favoriser l’immigration légale
en vendant des visas
L'idée est toute simple : plutôt que de voir des milliers de personnes dépenser des fortunes pour tenter de rejoindre l'Europe, qui elle-même se barricade, pourquoi ne pas ouvrir des voies d'immigration légale, sous la forme de visas payants. C'est ce que propose Emmanuelle Auriol, chercheuse à l'Ecole d'économie de Toulouse : «Plusieurs pays ont déjà mis en place ce genre de système, à l'image d'Israël ou de la Jordanie. Ils accordent des permis de travail temporaires sur des emplois peu qualifiés. Et passent par des agences de placement dans les pays d'origine des migrants, où on leur fournit des billets d'avion. Pour la France, on pourrait imaginer le même dispositif dans les pays d'Afrique francophone.» L'étude préconise en parallèle d'accentuer la répression contre les réseaux de passeurs et les entreprises qui ont recours au travail au noir.
Les solutions délirantes
Envoyer l’armée
Nigel Farage, le leader de la formation d’extrême droite Ukip (12,8 % des voix aux dernières élections générales au Royaume-Uni), suggère d’envoyer les soldats britanniques pour sécuriser le site d’Eurotunnel. Outre qu’ils ne sont pas formés pour le maintien de l’ordre, cette démarche constituerait une perte de souveraineté impensable pour la France.
Renvoyer les migrants chez eux
«Des frontières et des charters : la solution pour Calais et le reste.» Voici, d'un tweet signé Florian Philippot, la position du Front national pour régler la crise migratoire. Inepte : aucune démocratie ne s'est encore hasardée à expulser un Syrien vers Damas. Quant aux Afghans, Soudanais ou Erythréens, les tribunaux administratifs cassent souvent les rares demandes d'expulsion à leur encontre. Soit parce que les pays d'origine ne délivrent pas de laisser-passer, soit parce que la situation sécuritaire y est jugée trop dangereuse.