Menu
Libération
Critique

L’étalon caché du roi de Suède

Triple jeu (2/6). En 1775 à Stockholm, le roi de Suède est bien embêté : son mariage n’a pas donné d’enfants et le pays commence à jaser. Un noble plus vigoureux aidera le couple royal, et des doutes planeront sur l’enfant qui naîtra.
Carl August Ehrensvärd: "Nidteckning över Gustav IV Adolfs tillblivelse", NMH A151/1973
publié le 16 août 2015 à 21h26

La caricature est très claire. Il y a une femme, au corps énorme, qui relève son jupon et ouvre l'entrejambe. Face à elle, un homme à la redingote lâchée d'où tombe un micropénis et, derrière lui, un autre homme, portant une cape et pourvu d'un sexe gigantesque qui passe entre les cuisses de son ami et s'apprête à pénétrer la dame. Le dessinateur, Carl August Ehrensvärd, a inscrit le nom des protagonistes : S. Magdalena, Muncken et G. III. Soit les acteurs du plus gros scandale que le royaume de Suède, pays novateur en tout, connut au XVIIIe siècle, et tout ça pour une histoire de coucherie.

Nous sommes en 1775. Voici donc le couple royal, Gustave III et son épouse Sophie-Madeleine. Les deux monarques sont mariés depuis neuf ans, mais n’ont pas d’enfants et se parlent à peine. Tout le pays, de la noblesse jusqu’aux aïeux des inventeurs des Krisprolls et des meubles en kit, se moque de l’impuissance présumée de Sa Majesté. Les têtes couronnées ayant ceci de commun avec les taureaux que la chose principale qu’on leur demande, c’est de se reproduire, Gustave agit comme n’importe quel gugusse : il fait appel à un ami. En l’occurrence, le comte Adolf Fredrik Munck, bellâtre qui affole tout ce qui passe dans le palais de Stockholm et qui en profite pas mal. Des rumeurs estiment que les deux hommes étaient amants. Quoi qu’il en soit, le roi embauche l’aristocrate pour l’aider à consommer son mariage.

Dans ses mémoires, aujourd’hui conservées aux archives nationales suédoises, Munck raconte comment, avec une de ses maîtresses, Anna Sofia Ramström, femme de chambre de la reine, la chose se passait : tandis que le couple royal se retrouvait, Munck et Ramström attendaient dans la pièce à côté, prêts à dégainer. Le coach sexuel raconta à demi-mots que Ramström ne fut pas d’une grande aide, mais écrivit que, pour qu’acte il y ait, il eut à toucher les deux corps de leurs majestés. L’enseignement devait être approprié, puisque deux enfants naîtront, Gustave en 1778 et Charles-Gustave en 1782 (qui mourra à l’âge d’un an). Pour son coaching, Munck sera bien rémunéré : un portrait de la reine serti de diamants, des titres et médailles à ne plus savoir qu’en faire, et même une somme d’argent qui aurait été vue comme un cadeau d’adieu.

Mais la chose se complique. Selon la belle-sœur du roi, au doux nom de Hedwig Elizabeth Charlotte de Holsetin-Gottorp, Gustave III aurait divorcé en secret de Sophie-Madeleine et organisé en toute discrétion un mariage entre Munck et la reine. L’officier de cette prétendue cérémonie sera d’ailleurs nommé au titre prestigieux d’évêque de Göteborg, ce qui en surprendra plus d’un au vu de son jeune âge. L’affaire prendra une autre tournure et deviendra un scandale d’Etat. Le fils Gustave (qui deviendra le quatrième du nom, on y reviendra) ne ressemble en rien à son père. Sa peau beaucoup plus brune lui vaut le surnom de «Maure». Il a des traits quasi-identiques, disent les témoins, à Munck, à qui les généalogistes prêtent une origine nord-africaine. Echotiers et pamphlétaires se déchaînent contre ces mœurs légères qu’ils accusent de fragiliser le royaume suédois. Jusque dans le palais, ça jase. Et, comme ce sont toujours les belles-mères qui fichent le bazar, c’est Louise-Ulrique, maman de Gustave III et reine douairière, qui accuse le trio d’infamie, soutenue par les frères du roi. S’ensuivent de violentes disputes, qui s’achèvent par des excuses publiques de la part de ces procureurs improvisés, et un exil de la vieille.

Gustave III, lui, meurt en 1792. Le jour de son décès, Munck est exilé. Quelques années plus tard, il demande à revenir en Suède. Face au non catégorique de son supposé fils naturel, il menace de révéler son mariage avec Sophie-Madeleine. Mais il renoncera et mourra en Italie en 1831. Anna Sofia Ramström, appât féminin d’un couple qui n’en avait pas trop besoin, sera empoisonnée, mais il reste difficile de dire qui est le coupable. Gustave IV restera quant à lui suspecté d’illégitimité, ce qui n’arrangera pas ses soucis politiques, qui culmineront avec sa déposition en 1809, une vie d’exil et une mort en 1837, dans une taverne de Saint-Gall, ruiné et poivrot.

Demain : Sartre et Beauvoir