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Libération
Interview

Frédéric Veaux : «Recruter un informateur signe souvent le début des ennuis»

Le directeur central adjoint de la police judiciaire explique que la plupart des indics sont d’anciens voyous «qui défendent des intérêts qui leur sont propres».
Frédéric Veaux, le 5 septembre 2007 à Paris. (Photo Stéphane de Sakutin. AFP)
publié le 18 août 2015 à 20h06

Frédéric Veaux, 59 ans, a participé à de nombreuses enquêtes au sein de la PJ, notamment lors de ses passages à Marseille et Ajaccio. Nommé en Corse en avril 1998, dans la foulée de l’assassinat du préfet Erignac, il participe à la traque ultrapolitique du fugitif et principal suspect, Yvan Colonna. Après un détour par la Division nationale antiterroriste, Frédéric Veaux opère quelques années plus tard un transfert peu commun pour un flic de la PJ en intégrant la rutilante Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), créée en 2008 sous Nicolas Sarkozy. Il devient alors numéro 2 de Bernard Squarcini. Désormais, il occupe le poste de directeur central adjoint de la police judiciaire.

Comment la police recrute-t-elle ses indics ?

La plupart des informateurs sont recrutés parmi les voyous, ce qui exige un maximum de garanties. On estime qu’il en existe trois catégories : ceux qui cherchent à se sortir d’un mauvais pas et obtenir la bienveillance d’un juge ou un coup de pouce administratif ; ceux qui attendent une rémunération ; et ceux qui cherchent à se débarrasser d’un concurrent grâce à la police et à la justice. Il faut faire le tri. Evidemment, on n’est jamais à l’abri d’un problème, ce n’est pas une science exacte. Ces personnes défendent souvent des intérêts qui leur sont propres, il n’est pas toujours évident de déceler leurs motivations réelles.

N’importe quel policier ne peut pas devenir recruteur ou officier traitant. Le recrutement d’un informateur signe souvent le début des ennuis. On est face à des profils compliqués. Il faut les gérer, répondre au téléphone, parfois plusieurs fois par jour, les rassurer. Et réussir à les fidéliser.

Qui les contrôle ?

Toute relation entre un policier et un informateur doit faire l'objet d'un compte rendu hiérarchique. Chaque personne recrutée doit être identifiée et inscrite au Bureau central des sources, qui dépend de la Direction centrale de la police judiciaire [DCPJ]. Leurs locaux se trouvent à Nanterre [Hauts-de-Seine], tout y est archivé dans un fichier informatique. Un système d'encodage permet de masquer l'identité des sources, mais la justice et l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) peuvent consulter les dossiers en cas d'enquête administrative ou judiciaire. Avant son inscription au fichier, l'informateur doit faire l'objet d'un certain nombre de vérifications. On évalue son profil, son casier judiciaire, ses motivations personnelles, ses risques d'exposition dans les procédures. Il n'y a pas de notation mais une évaluation permanente de la source. En cas de problème, un informateur peut aussi être placé sur une «liste noire», qu'on partage avec Europol [l'office de police criminelle de l'Union européenne, ndlr]. Mais ces cas restent marginaux.

Des informateurs ont été impliqués dans des «provocations policières». Plusieurs procédures sont visées par la justice. Que vous inspirent ces faits ?

Je ne peux pas me prononcer sur les dossiers judiciaires en cours. Quelques affaires ont secoué la police mais il y a eu beaucoup de pédagogie depuis vingt ans. Des procédures d’encadrement existent pour les informateurs, des formations sont régulièrement dispensées par le Bureau central des sources. Sur les «provocations policières», les règles sont claires : on n’encourage jamais quelqu’un à commettre une infraction. Il n’y a pas de «permis de délinquer». Si elles sont avérées, ces pratiques doivent être sanctionnées. Mais rien ne vaut de s’exposer physiquement ou pénalement pour la réussite d’une affaire. Il y a tellement d’affaires de stups que les services de police n’ont pas besoin d’en monter d’autres artificiellement.