Alors que Nicolas Sarkozy s'affiche en maillot de bain à la une de «Paris Match», Alain Juppé se distingue de son concurrent pour la primaire à droite. Le maire de Bordeaux prend aussi sa famille politique à rebrousse-poil en choisissant le thème de l'éducation pour inaugurer sa rentrée politique. En pleine promotion de son livre Mes Chemins pour l'école (en librairie mercredi), l'ancien Premier ministre livre ses dix propositions clés en la matière, et tacle ainsi Nicolas Sarkozy qui, en juin, lançait un débat autour de l'islam.
Faire du début du cursus scolaire sa priorité
Alain Juppé le martèle : les écoles maternelle et élémentaire doivent concentrer leurs efforts. «De l'avis des psys, c'est là que tout se joue, notamment l'illettrisme», dit-il. Une proposition qui résonne avec celle d'un candidat passé Président : François Hollande. La proposition 38 du candidat socialiste stipulait : «Ma priorité ira aux écoles maternelle et primaire, car c'est là que les premières difficultés se manifestent et que l'échec scolaire se forme.» Le maire de Bordeaux reprend à son compte «un slogan qui fait recette», selon Sébastien Sihr, le secrétaire général du Syndicat national unitaire des instituteurs et des professeurs des écoles (SNUIPP).
Augmenter les salaires des enseignants du primaire de 10%
«Rien de nouveau, pour Sébastien Sihr, en réalité, Alain Juppé reprend les préconisations de l'OCDE.» Chaque année, l'Organisation de coopération et de développement économiques publie un panorama annuel, «Regards sur l'éducation». Celui de septembre 2014 pointait un déclassement salarial des instituteurs français. Les salaires des professeurs des écoles sont inférieurs de 30% à ceux de leurs collègues du collège et du lycée. Ils gagnent aussi moins que la moyenne de leurs collègues de l'OCDE : 11% de moins. Ainsi, 800 euros séparent le salaire d'un instituteur français à celui d'un homologue allemand.
En proposant d'augmenter les salaires des professeurs des écoles, Alain Juppé marche dans les pas de Vincent Peillon. Lors de son passage rue de Grenelle, l'ancien ministre de l'Education nationale avait revalorisé les salaires des professeurs des écoles de 400 euros par an. Juppé propose beaucoup plus : 250 euros supplémentaires par mois si l'on se réfère au salaire moyen des instits (2 596 euros). En novembre 2014, Najat Vallaud-Belkacem avait aussi promis une augmentation.
Les instituteurs devront être plus présents dans les établissements
Alain Juppé conditionne l'augmentation des salaires des instituteurs. En contrepartie, ces derniers devront «être plus présents dans l'établissement et plus disponibles pour les élèves et leurs parents». Avant lui, Ségolène Royal avait formulé cette proposition dans son programme pour l'élection présidentielle de 2007.
Le maire de Bordeaux ne convainc pas Sébastien Sihr : «Je ne suis pas certain qu'il maîtrise son sujet.» Le secrétaire général du SNUIPP s'appuie sur des chiffres communiqués par le ministère. Les professeurs des écoles passent déjà 27 heures par semaine devant les élèves. «Il faut ensuite ajouter 17 heures qui sont consacrées à la préparation et au suivi des élèves avec les parents. Les instituteurs français sont parmi ceux qui travaillent le plus en Europe», ajoute-t-il.
Réaffecter des postes vers le primaire
Alain Juppé souhaite redéployer au profit des classes maternelles et de CP des moyens alloués au second degré. Sébastien Sihr pointe «une fausse bonne idée». Le syndicaliste affirme que les collèges et les lycées ont leurs propres besoins. «En fait, Juppé souhaite juste jouer le jeu des vases communicants.» Le maire de Bordeaux devance les critiques et présage dans l'interview que «cela donnera lieu à des controverses».
Maintenir le budget de l’éducation nationale à 65 milliards d’euros
Le candidat de droite ne souhaite pas augmenter les effectifs, mais garantit que le budget actuel de l'éducation nationale sera maintenu. En 2007, Sarkozy avait, lui, promis de supprimer 30% des postes de professeur, préconisant 30% de temps de travail et 30% de salaire en plus pour les enseignants restant en poste. Avec sa proposition, Juppé se démarque de son concurrent. Pour financer les réformes, il entend faire des économies sur l'organisation du baccalauréat – qui coûte chaque année plus de 1,5 milliard d'euros, selon le principal syndicat de chefs d'établissements, le SNPDEN – : «Il faut réduire le nombre d'options et d'épreuves à quatre ou cinq, le reste des acquis étant soumis au contrôle continu.»
Raccourcir les vacances scolaires
L'ancien Premier ministre s'en prend à un vieux serpent de mer : le raccourcissement des vacances scolaires. Plusieurs ministres s'y sont déjà cassé les dents. Luc Chatel et Vincent Peillon ont essayé, mais aucun n'a réussi à le mettre en place. Alain Juppé estime que «ce sera une orientation à prendre». Il s'appuie sur une constatation : «Nos enfants ont plus d'heures de cours et elles sont plus concentrées sur une plus brève période, c'est pour cela qu'ils sont fatigués.»
Lutter contre l’absentéisme
Le maire de Bordeaux s'interroge : «Pourquoi ne pas conditionner certaines aides et allocations au respect d'un certain nombre de règles ?» Cette question titille la droite depuis longtemps. En 2010, le député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti était parvenu à faire adopter par le Parlement une loi qui rendait systématique la suspension des allocations familiales «en cas d'absentéisme scolaire injustifié et répétitif d'un élève». Décriée à gauche et jugée inefficace, cette loi a été supprimée en octobre 2012.
Laïcité
Alain Juppé défend une position qui tranche avec celle de Nicolas Sarkozy. En décembre 2007, l'ancien président de la République provoque un tollé. Dans son célèbre discours dit de Latran, il déclare : «L'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal.» Juppé s'en éloigne : «Je ne partage pas cette déclaration. Je suis très attaché au principe de laïcité. L'école n'est pas faite pour transmettre les valeurs religieuses, mais les valeurs de la République.»
Juppé n'entend pas développer un enseignement des religions. Il préférerait «mieux enseigner le fait religieux» au collège. S'agissant de la religion musulmane, les collégiens doivent «vaguement savoir ce qu'est le Coran ».