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Libération
Récit

Lycamobile, l’«ascenseur» d'Ayoub El Khazzani vers la France

Le Marocain, soupçonné d'avoir attaqué un train Thalys vendredi, a travaillé en région parisienne deux mois en 2014 pour l'opérateur de téléphonie mobile comme distributeur de prospectus.
Photo non datée diffusée par un réseau social du suspect de l'attaque du Thalys , le marocain Ayoub El-Khazzani (Photo -. AFP)
publié le 24 août 2015 à 22h35

Anouar, qui tient un magasin de téléphonie à El Saladillo, le quartier d'Algésiras (Andalousie) où a vécu le supposé terroriste Ayoub El Khazzani et où réside toujours son père Mohamed, s'en souvient comme si c'était hier : «Un jour, il débarque dans mon magasin ivre de joie. Il venait de décrocher un contrat, disait-il, avec la compagnie mobile Lycamobile pour aller travailler en France». C'était en tout début d'année 2014. La preuve de son arrivée dans l'hexagone a été confirmée par son ex-employeur Alain Jochimek, directeur général de l'opérateur Lycamobile : il y aurait effectivement travaillé pour un CDD de trois mois du 3 février au 3 avril 2014 mais la compagnie «a dû mettre fin à ce contrat au bout de deux mois car les papiers qu'il avait présentés ne lui permettaient pas de travailler en France», a-t-il indiqué à France Info. Et d'ajouter : «Il était promoteur, ce qui consistait à distribuer des prospectus et mettre des posters dans les boutiques. Je crois pouvoir vous dire que ça se passait plutôt pas mal».

«Au moment où Ayoub a quitté Algésiras pour la France, il n’était pas radicalisé.»

Il y a environ quatre ans, le jeune Marocain suit son père, qui déménage de Madrid pour s'installer autour de Malaga puis, ici, à Algésiras. Comme le confirment de nombreuses personnes, dont son géniteur, Ayoub vit en bonne partie du haschisch. Il est d'ailleurs «fiché» par les enquêteurs espagnols qui, au total, l'auront interpellé à trois reprises pour trafic de drogue. «Peu à peu, pourtant, poursuit Anouar, alors même qu'il devenait plus religieux et se laissait pousser la barbe, il prenait ses distances avec les activités illicites. Jusqu'à ce que Lycamobile s'intéresse à lui comme vendeur». Chaque année, en particulier l'été, des centaines de milliers de Marocains transitent par Algesiras pour rejoindre par ferry, ou quitter, leur pays natal : un formidable endroit pour proposer des tarifs avantageux à ces migrants réguliers, qui attendent souvent de longues heures avant d'embarquer, des cartes SIM de compagnies de téléphone. Comme l'assure un employé de Lycamobile près du port, qui tient à l'anonymat, Ayoub El Khazzani faisait merveille en tant que vendeur : «C'est pour cette raison qu'on lui a proposé d'aller en France pour travailler comme commercial auprès de potentiels clients arabophones».

Dans un premier temps, le père du jeune Marocain, Mohammed El-Khazzani, avait accusé l'opérateur mobile d'être à l'origine de son comportement islamiste. Ce qui a provoqué la réaction outrée d'Alain Jochimek : «Dire que Lycamobile forme des terroristes, c'est peut-être un peu fort quand même !». Ce lundi, pourtant, se confiant à Libération au bas de son immeuble, un haut édifice aux conditions précaires, le père rectifiait quelque peu : «Tout ce que je sais, c'est qu'au moment où Ayoub a quitté Algésiras pour la France, il n'était pas radicalisé. C'était un garçon devenu plus sérieux, un bon musulman. Tout ce qu'il voulait c'était survivre et manger à sa faim, il partait d'ailleurs souvent à la pêche; alors, le contrat avec cette compagnie en France, c'était un sacré cadeau pour lui». Un «cadeau» qui, désormais, va sûrement permettre de mieux pouvoir retracer l'itinéraire du jeune Marocain à partir de son arrivée dans l'Hexagone.