Rien ne vous gêne ? Quatre mamies plutôt chics, attablées sous le chapiteau devant la mairie, réfléchissent : «Si, les couverts en plastique, c'est vraiment pas pratique pour manger le jambonneau.» Et sinon ? Regard circulaire alentour sur la deuxième fête du cochon hayangeoise. Elles haussent les épaules. Et la vingtaine de gros bras tatoués, crânes rasés, treillis, blousons noirs ? Un groupe arborant les tee-shirts «Lorraine nationaliste» est planté à côté de la piste de danse. Impossible de les louper. Sans compter tous ceux de la mouvance identitaire, et quelques néonazis, assis çà et là, entre familles et personnes âgées. Des jeunes femmes, sexy aryennes tendance maîtresses SM, des garçons athlétiques proprets au look épuré. «Non, cela ne nous gêne pas d'être mélangées à ces gens-là, ils sont très polis.» Elles se réjouissent que la fête soit un tel «succès». D'ailleurs, elles sont venues dès 11 heures pour être sûres d'avoir une place assise.
C’est vrai qu’il y a du monde. «Amitié et tradition» peut-on lire sur un énorme cochon gonflable. Des cochons, il y en a partout. En broche, en saucissons, en ballons. Même chez la boulangère, des cochons en brioche et en pâte d’amande.
Et une dame, la cinquantaine, entourée de ses enfants de nous gratifier d'une petite leçon de vivre-ensemble : «Si on est obligé d'être tolérant envers les migrants en ce moment, il faut être tolérants entre nous d'abord. C'est bien qu'il y ait du mélange, on peut vivre ensemble avec les identitaires.» A les entendre, il faut vraiment avoir l'esprit mal tourné pour imaginer que fêter le cochon, c'est exclure les musulmans. Non, c'est «traditionnel».
«C’est le sosie d’Eddy Mitchell»
L'adjoint aux festivités souhaite la bienvenue aux convives. Il a été nommé mardi, lors du dernier conseil municipal. Des séances de plus en plus houleuses voire violentes. Engelmann a retiré ses délégations à son premier adjoint, comme l'année dernière avec Marie Da Silva. Du coup, le maire a dû intégrer une nouvelle personne à l'équipe, piocher parmi les conseillers de sa majorité qui s'étiole. Il s'agit donc de Fabien Cornu. Le sosie de Johnny Halliday, croyait-on savoir. «Non, celui de Johnny est à la vie associative, Fabien Cornu, c'est le sosie d'Eddy Mitchell», corrige une personne de la mairie.
Dans son discours, Engelmann, se défend contre ceux qui voudraient faire de la fête du cochon un rendez-vous politique. Il tape classiquement sur les médias, parle de convivialité, de terroir. Une fois la petite intro évacuée, il embraye aussitôt sur un discours idéologique. Pour la faire courte : l'identité française est mise à mal, «floutée jour après jour», on peut la sauver en mangeant du cochon. «En France, nous festoyons comme les Français.» Les mots «identité», «Français», «tradition», «coutume», reviennent en boucle. Visiblement, personne n'a la nausée.
Quelques membres de l'association de résistance citoyenne Hayange, plus belle ma ville prenaient un café le matin au bar du marché, sur la place. Une fois les tasses vides, ils se sont vite éclipsés. Un ex-adjoint ex-FN est allé au kebab. Marie Da Silva passe, avec les autres dissidents. Ils croient savoir que si Engelmann fait sa fête alors que le parti est à Marseille, c'est parce que Marine Le Pen lui aurait dit «tu t'arranges comme tu veux, mais tu ne viens pas». «D'ailleurs, Hayange est la seule ville qui n'est pas représentée à l'université d'été», insistent-ils.
«Contre la démocratie»
Et puis, la poignée de journalistes est invitée à une conférence de presse de Dominique Biry, ex-membre du FN, représentant mosellan du Parti de la France. Il emmène la presse à l'écart, devant la fontaine. L'œuf bleu, l'œuvre d'Alain Mila, a disparu, il a été remplacé par une sculpture rococo vert foncé à angelots. Biry se présente comme le directeur de la «précampagne» aux régionales pour la liste ALCA fait front, estampillée «Droite nationale» et qui ralliera prochainement le mouvement en projet de Jean-Marie Le Pen. Ils ont un objectif : contrer Florian Philippot, qui conduit la liste FN dans l'Est, liste sur laquelle Engelmann devrait figurer en bonne place. Philippot les a qualifiés de «nuls virés du FN». En fait, le petit groupe n'a pas été invité à la fête du cochon, il s'est incrusté. Mais ils aiment bien Engelmann.
Biry défend une «droite traditionnelle», contre les «dérives gauchistes d'un FN aseptisé», «infiltré par Philippot et son lobby». Non, ils ne sont «pas homophobes» martèlent-ils, mais déplorent avec force le «non-respect des valeurs familiales traditionnelles» au sein du FN.
De ce gloubi-boulga qu'ils veulent prometteur, on retient qu'ils sont «contre le parasitisme social» et «défendent l'identité française». Encore l'identité. La liste est presque bouclée, 141 personnes sur 169, elle sera emmenée par Pierre-Nicolas Nups, un étudiant en deuxième année de droit nancéen en costume du dimanche motif pied-de-poule.
Maxime, un responsable de Lorraine nationaliste, les soutient. On l'interroge. Lui est «contre la démocratie», il appelle à une «deuxième révolution nationale», cite Pétain, parle de «notre race qui va disparaître». Il se vante d'avoir pris six mois avec sursis pour avoir déployé une banderole «Allez brûler en enfer» lors de la Gay Pride 2014 de Nancy. Pierre-Nicolas Nups était à ses côtés, lui a pris huit mois avec sursis.
On s’en va, on retourne à la «fête». Les enfants font du trampoline, prennent d’assaut un château gonflable. Le fan-club d’Engelmann se fait photographier avec lui et la mascotte cochon en peluche. Le maire déambule, taille le bout de gras avec les électeurs, suivi par deux policiers municipaux et sa troupe d’adjoints aux deux sosies. Encore une bien belle journée à Hayange.