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à la barre

Mort de Bastien : «Si elle aimait vraiment son enfant, pourquoi elle ne m’a pas empêché de faire ce crime ?»

Les parents du petit garçon tué dans un lave-linge ont été entendus mercredi soir par la cour d’assises de Melun.
Charlène Cotte et Christophe Champenois, les parents de Bastien, à la cour d'assises de Melun, le 8 septembre 2015. (Dessin Benoît Peyrucq. AFP)
publié le 10 septembre 2015 à 7h20

Elle regarde ses pieds, la voix atone, le visage sans expression. «On dirait que vous racontez une histoire, mais que vous n'êtes pas dans cette histoire», remarque la présidente de la cour d'assises. Charlène Cotte baisse encore la tête, murmure qu'elle «n'arrive pas à pleurer», qu'elle «n'arrive pas à montrer d'émotion». Assis dans le box, Christophe Champenois, son ex-compagnon, sanglote lui par saccades, puis s'arrête d'un coup. Il dit que son acte est «criminel, abominable» mais qu'il ne se «souvient de rien». Mercredi soir, la cour d'assises de Melun a entendu les parents de Bastien, Charlène Cotte, 29 ans, et Christophe Champenois, 36 ans. Le 25 novembre 2011, selon les témoignages de l'enquête, Christophe Champenois a placé leur fils Bastien, 3 ans, dans le lave-linge familial, qu'il a mis en route. Il est jugé pour meurtre aggravé, son ex-compagne pour complicité.

«A 16h30, j'ai été chercher les enfants à l'école, démarre Charlène Cotte. J'ai dit à Monsieur [c'est ainsi qu'elle nomme son ex-compagnon, ndlr] que Bastien avait été méchant à l'école. Qu'il avait tapé un petit camarade. Je l'ai puni dans sa chambre. Je suis partie dans la cuisine. J'ai pas vu après ce que Monsieur faisait. J'ai entendu crier dans la salle de bains. Je suis partie voir. J'ai vu que Monsieur était en train de fermer le capot et lancer la machine. Je lui ai dit : "Arrête, arrête !" Il m'a repoussée à plusieurs reprises. Je suis tombée. Il m'a poussée jusqu'à dehors de la salle de bains. Après je suis allée dans le salon. J'avais tellement peur, j'étais tellement pétrifiée que je n'ai pas bougé. Marie [sa fille de 5 ans, ndlr] (1) faisait un puzzle. Pour la distraire un petit peu, je remuais les pièces.»

«Son but, c'était qu'il meure»

La présidente reprend calmement : «Pourquoi vous dites à votre compagnon que Bastien s'est mal comporté à l'école, alors que la maîtresse a témoigné du contraire ?

— Je n’avais pas le choix. Tous les jours, en rentrant, je devais lui dire si Bastien avait été gentil ou méchant. Si je répondais pas, il demandait à Marie.

— La veille, enchaîne la présidente, vous assistez à un appel téléphonique où votre compagnon menace de jeter Bastien du deuxième étage. Est-ce que vous pensez qu'il était judicieux de lui dire qu'il y avait eu un problème à l'école ? Est-ce que vous ne pensez pas que votre rôle aurait été de protéger votre enfant ?»

Charlène Cotte bafouille. Elle n'a «pas pensé».

«Dans quel état était Christophe Champenois ?, poursuit la présidente.

— Il était vraiment en colère. Déterminé. Son but c'était qu'il meure, je crois.

— Et vous, vous dites "j'ai peur !", s'indigne la magistrate. Votre instinct de mère ça pourrait être d'intervenir, de prendre un objet, de l'assommer ! Pourquoi vous ne vous battez pas comme une tigresse pour sauver votre enfant ? Pourquoi vous n'allez pas chez les voisins ?

— Je n'avais plus la force, j'étais vidée. En fait, j'étais plus là vraiment. J'étais comme un robot.»

La présidente soupire : «Mais vous jouez au puzzle...»

«Je me sens vraiment responsable» 

Christophe Champenois reste assis pendant sa déposition. Il est grand, blond, de structure carrée, mais souffre d'une tumeur bénigne au cerveau, un méningiome, qui altère son équilibre. Derrière la vitre de son box, il passe sa main sur son visage. «Sur cette journée du 25 novembre, je ne me rappelle pas. Je sais que Charlène est revenue de l'école comme d'habitude. Je sais que j'étais sur mon ordinateur en train de faire des chargements.» Il pleure. Sa voix s'étrangle. «Je me sens vraiment responsable. Ça fait trois ans, bientôt quatre, que je travaille pour essayer de comprendre ce qui s'est passé. Mais y'a rien qui me vient.»

«Vous ne vous souvenez pas, mais vous vous sentez responsable ?», répète la présidente.

Il murmure : «Vu toutes les investigations qui ont été faites, oui, bien sûr, je me sens responsable de la mort de Bastien.»

Sa fille Marie, dès l'arrivée des secours, a expliqué au médecin et aux gendarmes : «Papa a mis Bastien dans la machine à laver.» On rappelle ces mots à Christophe Champenois, il acquiesce. «Je veux bien accepter les dires de ma fille. Parce que je ne pense pas qu'elle mente. Parce que quand même elle l'a répété à trois reprises.»

«Est-ce que vous avez une idée de ce qui aurait pu vous conduire à commettre ces faits ?», questionne la présidente. Silence. «Je ne sais pas.»

«Est-ce que vous vous souvenez des punitions de Bastien avant les faits, dans le placard ?» Silence à nouveau. «Je ne cherchais pas la maltraitance en faisant ces punitions. Comme on vivait dans un petit appartement, en le mettant dans la chambre, je privais Marie d'y aller. On l'a mis dans la cuisine, mais c'est un endroit dangereux. On l'a mis dans la salle de bains, il a tout retourné, et puis ça reste dangereux aussi, la salle de bains. Il arrivait quand même à allumer l'eau, si l'eau était brûlante, il aurait pu être brûlé. Je ne sais pas ce qui m'a pris mais, oui, j'ai pensé au placard. Comme je suis très bricoleur, j'ai enlevé toutes les valises qui étaient dedans, je l'ai aménagé, et quand Bastien faisait des bêtises, je le mettais dedans.»

«Cet enfant n'a pas vraiment eu d'amour»

La présidente continue : «Il faisait noir dans ce placard ?»

— Non, je mettais une lampe de poche, un biberon et un pot.

Christophe Champenois s'arrête un instant : «Pour le placard, c'est Charlène qui a vidé son sac à la justice, sinon personne n'aurait été au courant.»

— Et vous trouvez ça bien, qu'on sache, ou pas ?

Bien sûr. Maintenant faut dire la vérité. Que cet enfant il a eu un amour particulier. Faut dire le mot réel : il n'a pas eu vraiment d'amour.»

La nuit est tombée depuis un moment, les bancs de la cour d'assises se sont vidés peu à peu. La salle est silencieuse, on entend la soufflerie de l'air conditionné. La présidente ne montre pas de trouble : «Comment se fait-il que vous ne vous souveniez de rien, alors qu'au moment des faits, vous organisez avec Charlène une version mensongère, l'histoire d'une chute dans les escaliers ?

— Parce que Charlène était tellement en panique, elle disait "qu'est-ce que je fais ?" Je lui ai dit, écoute, tu dis qu'il est tombé dans l'escalier, et puis que après je l'ai mis dans une baignoire.

— Mais si vous inventez ça, c'est que vous savez la vérité ?

— Je ne me rappelle que de choses partielles.

— Que faisait Charlène pendant ce temps ?, interroge encore la présidente.

— Je ne sais pas. Est-ce qu'elle m'a aidé, est-ce qu'elle m'a dit : "Fais-le, vas-y", j'en sais rien. Je ne veux pas l'accuser.»

Christophe Champenois tremble légèrement, il se tait, reprend : «Si elle aimait vraiment son enfant, pourquoi elle ne m'a pas empêché de faire ce crime ? Même si je suis costaud, y'a toujours un objet ou quelque chose. Elle a déjà été capable de m'enfermer dans la salle de bains. Peut-être qu'elle n'y est pour rien du tout, qu'elle est juste "non assistance à personne en danger". Mais si elle aimait vraiment son fils, elle aurait pu arrêter la machine et le sortir.»

(1) Le prénom a été modifié.