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Justice

A Calais, le préfet conteste sa condamnation pour le démantèlement d’un camp de migrants

Migrants, réfugiés... face à l'exodedossier
La préfecture du Pas-de-Calais a déposé un recours après la condamnation du préfet, le 24 mars dernier par la cour d’appel de Douai. La juridiction avait considéré que l’évacuation menée le 29 septembre 2020 sur la zone dite du Virval, où campaient plus de 800 candidats au passage au Royaume-Uni, ne s’était pas faite dans les règles de droit.
Evacuation de 800 migrants après le démantèlement de leur campement, à Calais, le 29 septembre 2020. (Bernard Barron/AFP)
publié le 30 mars 2022 à 13h31
(mis à jour le 6 avril 2022 à 18h55)

La décision pourrait remettre en cause le cadre juridique de nombreuses expulsions. Le préfet du Pas-de-Calais a été condamné par la cour d’appel de Douai (Nord) pour s’être affranchi de l’autorité judiciaire lors du démantèlement d’un campement de migrants à Calais en 2020. La préfecture du Pas-de-Calais a toutefois déposé un recours, ce mercredi 6 octobre, estimant que l’affaire dépendait de la justice administrative. «Il appartient désormais au tribunal des conflits», une juridiction réunissant à Paris membres du Conseil d’État et de la Cour de cassation, «d’attribuer ce contentieux à la juridiction judiciaire ou administrative», estime la préfecture.

Dans son arrêt du 24 mars, dont l’AFP a obtenu copie, la cour condamne le préfet pour «voie de fait», lui reprochant d’avoir pris l’initiative de l’expulsion, et temporairement privé de liberté les occupants du site, sans cadre juridique adéquat. Les requérants, 11 exilés et huit associations de défense des migrants – dont le Secours catholique et l’Auberge des migrants – avaient assigné le préfet en décembre 2020. Ils demandaient que soit jugée «illégale» l’évacuation menée le 29 septembre 2020 sur la zone dite du Virval, où campaient plus de 800 candidats au passage au Royaume-Uni.

Cette décision met à mal l’utilisation récurrente par l’Etat, pour procéder à des expulsions de campements migratoires sur le littoral nord, du cadre juridique de la «flagrance», applicable lorsqu’un délit est constaté depuis moins de quarante-huit heures, selon l’avocate des plaignants, Me Eve Thieffry. «Le juge confirme ce que disent les associations depuis des années : que le préfet n’a aucun pouvoir personnel à évacuation des personnes sur le littoral et à déplacement sous la contrainte», a-t-elle commenté. Cela «interdit le process utilisé par la préfecture».

Organisation en amont

Le préfet a assuré avoir agi sur décision du procureur, au lendemain de l’ouverture d’une enquête en «flagrance» sur la présence de 450 tentes. Le tribunal estime au contraire qu’il a agi de sa propre initiative, s’appuyant sur un tweet du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui disait son «soutien» à la préfecture du département pour l’opération. Le communiqué préfectoral alors publié indiquait aussi que les tentes étaient installées depuis «plusieurs semaines», tandis que l’importance des moyens mis en œuvre – dont 30 bus – confirmait une organisation en amont.

«Ces éléments viennent contredire l’hypothèse de la découverte de l’infraction la veille» de l’évacuation, souligne la cour. Or, «la préfecture du Pas-de-Calais n’a requis aucune autorisation du juge administratif afin de procéder à l’évacuation» comme requis pour une opération hors du cadre de la flagrance. En outre, la préfecture a outrepassé ses prérogatives en privant temporairement de liberté les migrants escortés vers des bus, sous pression de la police, tranche la cour.

La présence de nombreux policiers encerclant les exilés lors de cette évacuation, la plus importante de ce type depuis 2016, était «de nature à constituer une contrainte», relève la cour. Les requérants ont demandé 5 000 euros de dommages pour chacun des exilés et 1 000 euros par association. Sauf recours de la préfecture, une audience doit trancher le 23 mai de ces dommages.

En première instance le 6 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer s’était déclaré incompétent, la préfecture ayant requis la saisine du tribunal administratif. «Les témoignages produits ne permettent pas de conclure à l’emploi de la contrainte durant la phase de mise à l’abri», avait notamment jugé le tribunal.

Mis à jour le 6 avril à 18h50 avec le recours déposé par la préfecture du Pas-de-Calais.