Deux roses rouges à la main, Delphine, 75 ans, arrive déjà fatiguée à 13h30 dans la cour du lycée agricole de Pamiers (Ariège) où la foule se rassemble en silence. «Je ne pouvais pas rester à la maison», confie, essoufflée, cette fille de métayers de Cazères (Haute-Garonne), qui suit chaque jour le mouvement de colère des agriculteurs à la télévision et sur Internet. «Les jeunes qui se lancent aujourd’hui dans l’agriculture, comment ils vont s’en sortir ? Ils sont accablés de dettes, il faut bien qu’ils soient aidés», estime Delphine, qui s’apprête à rejoindre la marche blanche organisée à la mémoire d’Alexandra Sonac et sa fille Camille, tuées en début de semaine par une voiture folle sur un barrage érigée sur la voie rapide qui contourne la sous-préfecture de l’Ariège.
Un parcours de 3,5 kilomètres pour rejoindre les abords de l’accident depuis l’établissement scolaire où Alexandra Sonac avait fait ses études. Sa fille Camille devait aussi y faire sa rentrée en septembre prochain. «Elle était, comme sa mère, passionnée d’agriculture», dit Sébastien Durand, maire du village voisin où la famille Sonac élevait un troupeau de vaches limousines.
Les élus présents de manière anonyme
Juché sur la remorque d’un mini-tracteur du lycée, l’élu, également vice-président de la FDSEA de l’Ariège, demande au micro aux journalistes de se tenir «à distance raisonnable» du cortège qui s’apprête à s’ébranler. «On ne veut ni de la presse ni d’élus avec leurs écharpes», déclare Sébastien Durand, une rose blanche à la main. Les rares élus présents ont respecté la consigne en défilant anonymement dans la foule. Le cortège s’élance derrière une banderole représentant Alexandra Sonac et sa fille, avec des cœurs et des colombes. Il faut près d’un quart d’heure pour que la foule, compacte, s’écoule de la grande cour en bitume du lycée érigé en dehors de la ville, au milieu des champs. «Pas trop vite, il y a des personnes âgées», recommande un organisateur aux jeunes choisis pour ouvrir la marche. Plusieurs milliers de personnes défilent sous le soleil, souvent en famille ou avec des amis, avec la chaîne des Pyrénées en toile de fond.
Enquête
Un tracteur avec une remorque équipée de quelques sièges ferme le cortège en compagnie du directeur du lycée agricole. La chambre d’agriculture de l’Ariège, organisatrice de la marche avec la FDSEA et le syndicat des Jeunes Agriculteurs, a prévu des navettes pour ramener les participants vers le parking où des centaines de voitures sont garées. «Je remercie les nombreux Ariégeois, venus pas seulement du monde agricole, et ceux des autres départements qui nous ont rejoints», dit Philippe Lacube, président de la chambre d’agriculture de l’Ariège. Hué à Toulouse quand il avait demandé à ses troupes de rentrer dans leurs fermes, le président de la FRSEA d’Occitanie a fait le déplacement depuis le Tarn. Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, a fait le déplacement incognito. Il était accompagné du viticulteur de l’Hérault Jérôme Despey, vice-président. Les deux hommes se sont abstenus de tout commentaire.
Luc Mesbah, vice-président de la FDSEA de la Haute-Garonne, est venu depuis son canton de Carbonne. Mais pas son voisin Jérôme Bayle, figure désormais la plus fameuse des agriculteurs en colère. La plus discutée, aussi. Le barrage sur l’A64 a été définitivement levé durant la marche, comme promis la veille par leur leader qui a tenu à partager l’apéritif avec Gabriel Attal devant les photographes à l’issue de la visite du Premier ministre en Haute-Garonne. Mais cette décision unilatérale est loin de faire l’unanimité. Les barrages se débloquent au compte-goutte autour de Toulouse, alors que l’épée de Damoclès d’un blocage de Paris reste brandie – la coordination rurale du Lot-et-Garonne a annoncé ce samedi que son cortège de tracteurs s’élancerait lundi à 9 heures direction Paris, pour bloquer Rungis.
«On essaye de garder le cap de la non-récupération»
«On ne parle pas de revendications aujourd’hui», élude Sébastien Durand. Le vice-président de la FDSEA de l’Ariège a tenu à s’exprimer en tant que «voisin» de la famille, réclamant «le respect» de sa mémoire en affirmant rejeter toutes les étiquettes, politiques ou syndicales. «On essaye de garder le cap de la non-récupération», abonde Philippe Lacube. Le président de la chambre d’agriculture de l’Ariège, éleveur qui ferraille depuis des décennies par sa résistance farouche à la réintroduction des ours dans les Pyrénées, a toutefois tenu à associer la mémoire d’un jeune berger récemment décédé à l’hommage à l’éleveuse de Pamiers et sa fille lors de sa courte élocution dans la cour du lycée agricole de Pamiers.
* Mis à jour à 20h27 le 27 janvier avec l’ajout de la présence d’Arnaud Rousseau et de Jérôme Despey.