Dans les locaux de l’aumônerie étudiante de la Sorbonne règne le calme. Autour des tables, une dizaine de jeunes se tiennent à distance, masque sur le nez et écouteurs vissés sur les oreilles. La plupart attendent la fin de leurs cours en visio de la matinée qu’ils suivent depuis l’aumônerie, un des derniers lieux à accueillir du public. Le fumet du plat qui mijote dans la cuisine du local attire les nouveaux arrivants. Trois fois par semaine depuis janvier, deux jeunes se portent volontaires pour l’organisation du déjeuner, strictement soumis à une jauge et aux gestes barrières. Une douzaine de convives sont attendus ce midi, pour un repas à deux euros. Ces moments, comme les messes dans la petite chapelle adjacente et les temps d’études, ou les maraudes pour lesquelles ils se portent volontaires, sont une planche de salut pour des étudiants en quête de vie sociale et de repères.
«Ce lieu est devenu mon asile»
Depuis la fin du deuxième confinement, en décembre, le père Antoine de Folleville, curé de l’église de Saint-Germain-des-Prés et coordinateur de la dizaine d’aumôneries que compte Paris, est témoin d’un «délitement du moral des étudiants». Ils ne verront pas de sitôt les universités rouvrir comme avant. En septembre 2020, une cinquantaine d’étudiants allait et venait quotidiennement à l’aumônerie au 20, rue de la Sorbonne, à deux pas de l’université presque déserte. Ils ne sont aujourd’hui plus qu’une vingtaine. «C’est peu, mais le noyau est solide», constate Thibaut de Rincquesen, aumônier des lieux.
Martin Munoz, 24 ans, est mexicain et vit en France depuis quatre ans, il fréquente la Sorbonne et y étudie l’histoire. Catholique pratiquant depuis l’enfance, il connaît l’aumônerie comme sa poche. «Ici, c’est mon quotidien depuis quatre ans, mais la crise m’a fait davantage prendre conscience de son importance. Quand on voit arriver des nouveaux avec la mine défaite, qu’on leur offre à boire et un espace pour travailler et qu’ils nous disent qu’ils vont revenir, on est heureux d’avoir aidé», témoigne le jeune homme. Louis-Marie, 23 ans, est un de ceux-là. Etudiant en master 1 de musicologie, il ignorait tout des aumôneries il y a un an. «Avant je sortais, j’avais mes camarades de fac, aujourd’hui je n’en connais aucun. J’habite dans une chambre de bonne de 9m², et sans aucun contact j’ai cru devenir fou au deuxième confinement», raconte le jeune homme, attablé autour d’un plat de riz cuisiné par ses camarades. Comme beaucoup d’autres nouveaux arrivants, c’est par le bouche-à-oreille qu’il a poussé la porte des lieux. «Ce lieu est devenu mon asile et mon seul lieu de vie.»
«Les étudiants ont besoin de parler»
Pour fuir le marasme des cours à distance, Paul, Gabrielle, Pauline, Cécile et les autres s’organisent. «Ce ne sera jamais pareil qu’avant, mais on tente de recréer un lieu convivial, comme un substitut à la vie de promo», explique Pauline Emmanuel, étudiante en deuxième année de droit. Antoine de Folleville se réjouit avec eux «d’avoir réussi à conserver une certaine stabilité dans la vie des aumôneries». Pour Louis-Marie, ce sont les petits détails qui font la différence. «Se lever le matin, prendre le métro pour se rendre ici et parler des gens, c’est anodin mais c’est un véritable plaisir. L’aumônerie reste un lieu où il est encore possible de faire des rencontres, ce qui paraît fou aujourd’hui», avance l’étudiant en musicologie. Pour Cécile, aspirante journaliste, la vie à l’aumônerie est l’occasion de «reprendre en main son quotidien et d’être acteur de sa journée». Depuis un an, les maraudes qui rythment leur semaine ont pris une autre dimension : «Ils l’impression de se sentir utiles, remarque le curé de Saint-Germain-des-Prés, ça les aide à dépasser leurs propres difficultés.» Les jeunes de l’aumônier du campus Nation ont eux monté un projet d’épicerie solidaire, Le Cellier, ouverte deux fois par mois pour les étudiants dans le besoin.
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Malgré les semaines bien remplies, Thibaut de Rincquesen constate que les étudiants «ont de plus en plus besoin de parler». Cécile se rend à l’aumônerie comme elle se rendrait à «sa thérapie». De l’autre côté de la rue, la sonnerie de l’université retentit, mais Cécile et ses camarades resteront ici. Autour de la table du repas, l’étudiante et ses camarades s’inquiètent de la prolongation du couvre-feu, débattent d’un potentiel reconfinement, sans savoir quand ils pourront enfin retrouver les bancs de la Sorbonne.