Ce samedi à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), c’est l’affluence des grands jours. Sous un grand ciel bleu, les promeneurs foulent en nombre la grande plage du Sillon. Non loin, les rues principales d’Intra-Muros, le cœur de la cité corsaire, grouillent de monde. La place du Marché aux légumes et son square sont bien remplis : assis sur un banc ou un bord de trottoir, on vient y boire une bière dans un gobelet en carton, prendre un café à emporter ou grignoter un morceau acheté dans l’une des gargotes. Chloé et trois amis font la queue devant une crêperie. Ils sont venus passer le week-end à Saint-Malo, histoire de «sortir de la capitale, se balader, voir la mer». «On sera à Paris pour les quatre semaines à venir, donc on veut profiter au maximum», souligne la jeune femme, qui précise, comme pour se justifier, se sentir «un peu coupable» : cette virée «était prévue depuis longtemps».
Avalanche de commentaires haineux
Benoît, lui, assume : «Rester à Paris, sans restaurant, sans bar, sans musée et sans spectacle, ça n’a pas grand intérêt. Et c’est moins risqué de quitter la capitale pour être à l’air libre que d’y rester et d’aller dîner chez des amis en milieu clos», argumente ce directeur d’entreprise, venu pour le week-end. Il vadrouille à sa guise et compte bien continuer, sans tenir compte du couvre-feu ou des restrictions de circulation entre régions. «De toute façon, il n’y a jamais de contrôles», observe le quadra. Après les nouvelles mesures annoncées jeudi par Jean Castex, les Franciliens se sont rués en nombre hors de la région. Saint-Malo fait partie des points de chute prisés : vendredi, 400 personnes ont débarqué avec le TGV de 15 h 15 en provenance de Montparnasse, deux fois plus avec celui du soir. Sans compter les trains régionaux et les autos.
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Autour de chez Sophie, habitante d’Intra, les appartements AirBnb se sont éclairés vendredi soir et les volets de nombreuses résidences secondaires se sont rouverts. «Moi je les comprends, mais ce n’est pas le cas de tout le monde», souligne-t-elle. Le premier confinement avait été émaillé d’actes visant les voitures immatriculées en Ile-de-France, rayées à coups de clés, flanquées de «casse-toi» et autres mots du genre. Jeudi soir encore, Jean-Jacques Samoy, patron du café la Java, a récolté une avalanche de commentaires haineux, sous un post Facebook «qui se voulait rigolo», sur les trains et les AirBnb complets avant même le discours. «C’est la honte ! Ce sentiment anti-parisien, on n’a jamais vu ça ici», dit-il, encore surpris.
«Ils nous emmerdent, c’est de la folie»
L’acrimonie ne date pas d’hier. Ces dernières années, notamment avec l’arrivée du TGV, la cité malouine se transforme, construit à tout-va. La multiplication des logements dévolus à la location courte durée et aux résidences secondaires complique la donne pour les permanents. La pandémie a exacerbé les griefs. «Ils nous emmerdent. Des vagues comme ça, c’est de la folie. On se croirait en plein été», grince Dédé, en contemplant la foule sur le Sillon. «Même notre petit coin d’amoureux, dans les rochers au pied du Fort national, il y a déjà du monde», peste le retraité de la police. «On est peut-être un peu chauvins et on aime notre tranquillité», explique sa femme Irène, agacée aussi par «le comportement de certains», peu soucieux des distances.
Dans une zone plutôt épargnée par l’épidémie (162 cas pour 100 000 habitants sur l’agglomération), les Parisiens sont accusés par certains de véhiculer le virus. «C’est facile de les reconnaître, ce sont ceux qui ne portent pas le masque», fustige ainsi ce septuagénaire. «On n’est pas contre eux, mais il faut qu’ils respectent les gestes barrière», abonde sa femme. Il n’y a pourtant «jamais eu d’augmentation significative de l’épidémie après les périodes de congés ou de fréquentation plus élevée», a souligné le maire Gilles Lurton dans Ouest-France, invitant tout de même chacun à la «responsabilité». Accoudée à la digue du Sillon, face à la mer qu’elle vient «contempler chaque jour», Amor Gimenez se désole, elle aussi, des incivilités, de voir sa ville d’adoption chambardée par ce tourisme… Mais pour le confinement, elle comprend : «Si je vivais à Paris, j’aimerais bien le passer ici à prendre à l’air, c’est logique. Peut-être qu’ils amènent le virus, mais ils font travailler les commerçants, tout le monde est content.»