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Justice

Abaya : six mois de prison avec sursis requis contre l’ado qui avait cyberharcelé sa proviseure

La directrice d’un lycée d’Ivry-sur-Seine ainsi qu’une conseillère du rectorat étaient visées sur les réseaux sociaux après que la première a exclu une élève, qui portait l’abaya dans l’établissement. Le tribunal correctionnel de Paris a jugé l’affaire ce vendredi 31 mai.
Six mois de prison avec sursis ont été requis contre une adolescente qui avait cyberharcelé sa proviseure. Le tribunal correctionnel de Paris a jugé l’affaire ce vendredi 31 mai. (Magali Cohen/Hans Lucas. AFP)
publié le 31 mai 2024 à 22h10

Selon son avocat, Me Nabil Boudi, la jeune femme serait «bloquée à l’étranger». Selon les conseils des parties civiles, elle serait plutôt en train de «prendre du bon temps au Sofitel de Dubaï, comme en témoigne son compte Instagram». Reste que M., 19 ans, n’était pas présente au tribunal correctionnel de Paris ce vendredi 31 mai, où elle devait comparaître pour cyberharcèlement et divulgation d’information personnelle permettant d’identifier ou de localiser une personne et exposant à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens. Exclue de son lycée d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) pour port de l’abaya le 7 juin 2023, elle avait accusé son lycée d’islamophobie sur TikTok et X (ex-Twitter). Ses posts, qui divulguaient également l’identité de la proviseure de l’établissement et de la conseillère de rectorat, avaient suscité de très nombreux commentaires sur les réseaux sociaux.

Le parquet a finalement requis contre l’ex-lycéenne six mois de prison avec sursis, cinq ans d’inéligibilité ainsi qu’une obligation d’effectuer un stage de citoyenneté. La décision du tribunal a été mise en délibéré, tout comme celle concernant J., 20 ans, contre qui la procureure a demandé cinq mois de prison avec sursis et une obligation d’effectuer un stage de citoyenneté. Le jeune homme, commentant l’une des publications de M., avait traité la proviseure de «sale connasse» avant d’ajouter «on va te niquer» – des propos pour lesquels il s’est excusé à la barre. Faute d’avoir pu bénéficier d’un avocat commis d’office, le dossier de E., 20 ans, qui avait lui aussi menacé la proviseure et posté une vidéo montrant un individu à l’air menaçant muni d’un couteau, a été disjoint de l’affaire et renvoyé au 30 mai 2025.

«Insécurité personnelle»

«Ma santé physique et mentale a été affectée durablement et je n’ai pas fait ce métier pour ça.» Perchée sur de hauts talons, la proviseure, qui a depuis changé d’établissement, déroule avec émotion le fil des événements qui, des mois plus tard, continuent à la plonger dans une forme «d’insécurité personnelle». Tout commence en mars 2022 quand la fonctionnaire indique à M., en présence de sa mère, que sa tenue n’est «pas conforme» au règlement d’un établissement scolaire. Par la suite, et après voir vu la jeune femme «avec un voile dans les couloirs», elle lui demande à plusieurs reprises – sans succès – de se conformer à la loi de 2004 sur la laïcité à l’école, laquelle interdit le port de signes religieux ostentatoires (à l’époque, la circulaire de Gabriel Attal d’août 2023 interdisant le port de l’abaya dans les établissements scolaires n’est pas encore effective).

Au mois de juin 2023, après plusieurs avertissements et mesures d’exclusions temporaires, la proviseure décide de convoquer un conseil de discipline qui, le 7 juin, décide d’exclure la lycéenne, par ailleurs souvent «absente». C’est trois jours plus tard, le 10 juin, que la jeune femme poste des messages sur les réseaux sociaux. Selon Me Florence Lec, avocate de l’une des parties civiles, le premier tweet de M. «dépasse le million de vues». Le 11 juin, la préfecture du Val-de-Marne effectue un signalement sur la plateforme Pharos. La proviseure et la conseillère technique de l’établissement sont alors placées plusieurs mois sous protection policière.

«Déstabilisé son identité»

La première, qui a bénéficié d’un suivi psychologique depuis, dit que cette affaire a «profondément déstabilisé [son] identité professionnelle et personnelle», lui causant, ainsi qu’à ses proches, beaucoup de «stress et d’anxiété». La seconde, elle, évoque le sentiment qu’elle «portera toujours la cible qui est sur [leur] tête». L’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie tué près de son collège à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) en 2020, est évoqué à plusieurs reprises. Le cas de l’ex-proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel, menacé de mort en mars après une altercation avec une élève pour qu’elle retire son voile, est également abordé de nombreuses fois – un procès aura lieu à Paris, le 26 juin.

«Quand elle prend conscience du déferlement de haine, [elle] coupe son Twitter. Quand elle s’aperçoit que ça peut devenir viral, elle supprime.» Pour Me Nabil Boudi, conseil de la prévenue, la jeune femme, «en dépression et souffrante depuis sept mois», a fait preuve de «maladresse». Me Florence Lec, de son côté, déplore «l’absence assourdissante et inacceptable de la principale prévenue, celle par qui tout arrive». La décision sera rendue le 5 juillet.