L’exercice du portrait, c’est l’intimité chronométrée. Acteur dans une chambre d’hôtel, écrivain dans un café, politicien dans son QG, rockeur backstage… tout finit par se ressembler. Mais notre rencontre avec Ian Bailey, mort sur la côte irlandaise dimanche d’une crise cardiaque à l’âge de 66 ans, reste un moment indélébile, hors normes, qui fit sauter nos repères, nos petites règles internes. Pour commencer, déjà, comment s’adresser à un tueur qui se balade avec un point d’interrogation sur la tête ?
Protagoniste d’un des plus fameux faits divers des années 90 – le meurtre de Sophie Toscan du Plantier, épouse du célèbre producteur de cinéma, retrouvée atrocement battue devant sa maison de vacances à flanc de falaise – Bailey, surnommé «le diable dans les collines», avait été condamné en France par contumace en 2019, sur la base d’un faisceau d’éléments accablants. Mais pas en Irlande, qui avait refusé de l’extrader, en faisant une sorte de «suspect de Schrödinger», tel le chat mort-vivant. Techniquement innocent et coupable, selon la juridiction. Et la boîte dans laquelle on le plaçait : le poète maudit, marginal assumé devenu bouc émissaire du village, ou bien l’ex-journaliste maladivemen