Dans le salon à la vue spectaculaire qui ouvre sur le jardin du Luxembourg, l’abbé Pierre s’est pointé un jour de la fin 1996. Lui et sa silhouette déjà mythique (béret, épaisses lunettes, barbe blanche, cape et canne) étaient là dans un but bien précis : se réconcilier avec Bernard Kouchner. L’affaire Garaudy avait salement amoché l’image alors immaculée du curé des pauvres. L’abbé n’avait pas lésiné sur le soutien public à son ami Roger Garaudy, un ancien dirigeant communiste devenu une figure du négationnisme. «A ce moment-là on formait un couple, l’abbé et moi. On nous voyait partout ensemble. Cette histoire m’a révolté. On s’est fâchés six mois, puis il a fini par venir s’expliquer», se souvient le fondateur de Médecins sans frontières vingt-huit ans plus tard, dans le même salon qu’il s’apprête à quitter. Déménagement en vue, des cartons partout au milieu des œuvres d’art, des sculptures, des tableaux. Et des souvenirs. Cet après-midi d’octobre, Bernard Kouchner a accepté d’évoquer pour Libération ceux qui le lient au créateur d’Emmaüs.
Ensemble, le chrétien et l’humanitaire ont écrit Dieu et les hommes, un recueil de leurs conversations publié en 1993. Ils y débattent du bien et du mal, charité et humanisme, chrétienté et quête impossible de la foi