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«Assez des salaires de misère» : à Paris, les orthophonistes défilent pour de meilleures conditions de travail

Professionnels et étudiants se sont mobilisés, ce jeudi 6 octobre, pour alerter sur les niveaux de rémunération trop faibles et sur la saturation des cabinets. Une intersyndicale a été reçue par le ministère de la Santé.
A Lyon, pendant la manifestation des orthophonistes, le 5 octobre. (Nicolas Liponne/Hans Lucas. AFP)
par Margo Bierry
publié le 5 octobre 2023 à 19h06

Devant le ministère de la Santé et de la Prévention, sous les émanations des fumigènes et soutenus par les klaxons de voitures qui passent, les étudiants et professionnels orthophonistes se sont mobilisés ce jeudi après-midi pour faire entendre leur voix. Cri d’alerte lancé par la FNEO (Fédération nationale des étudiants en orthophonie) et la FNO (Fédération nationale des orthophonistes) et suivi par l’intersyndicale des orthophonistes, ils font le portrait d’un métier essentiel mais en souffrance. Correction de troubles du langage et rééducation de troubles neurologiques ou de la déglutition pour des salaires trop bas et des tensions concernant les effectifs.

Leurs pancartes brandies fièrement arborent des phrases chocs : «Bac +5 payé au smic, ministère dyscalculique» ou encore «Nous n’aurons plus les moyens de vous faire parler». Face à la centaine de participants et micro en main, Sibylle Janique, 18 ans et vice-présidente perspectives professionnelles de l’Association parisienne des étudiants en orthophonie (APO), clame ses revendications : «Assez des salaires de misères, des ortho en galère ! Dans un monde où l’hôpital se meurt il est plus que jamais temps d’agir. Redonnez-lui le souffle qu’il mérite, redonnez-lui ses orthophonistes.»

«Les salaires ne suivent pas»

Antoinette Lejeune, vice-présidente de la FNO, explique que le nombre d’orthophonistes qui exercent en salariat (hôpital, structures médico-sociales) est en diminution. Selon elle, «les conditions de travail se dégradent et les salaires ne suivent pas». La Convention 66, qui recouvre le domaine médicosocial, fixe le salaire de base hors prime de ces professionnels de santé sous le smic, pour un niveau de diplôme à Bac +5 depuis 2013. Ces conditions n’attirent pas les jeunes diplômés, la profession manque ainsi cruellement de personnel en salariat. Hélène, qui travaille au centre hospitalier Sainte-Anne à Paris, ajoute : «Les postes sont de moins en moins pourvus. Je pars à la retraite et je ne vais pas être remplacée.»

Les patients hospitaliers ayant besoin de soins orthophonistes voient donc leur prise en charge retardée et finissent par se tourner vers le libéral, qui se retrouve sous l’eau. Françoise, en libéral depuis treize ans, raconte que les cabinets sont saturés : «Si vous cherchez une orthophoniste parce que vous avez eu un accident, que vous ne pouvez plus parler ni avoir de mémoire, et que vous mettez de six mois à un an à en trouver une, ce n’est pas normal. On est malheureuses de dire au moins quinze fois par jour : “Non, on n’a pas de place et on ne vous prend pas sur liste d’attente parce que cinquante noms, c’est déjà déraisonnable.”» Avec une attente aussi longue pour un patient atteint de maladie neurodégénérative par exemple, les chances de progression sont retardées et les troubles s’aggravent. De plus, les cabinets ne sont pas en mesure d’accueillir tous les publics, notamment à cause du manque du matériel et du besoin de pluridisciplinarité des soignants, dans le cas où un patient doit être suivi par plusieurs professionnels.

«97 % de femmes dans la profession»

Les étudiants en pâtissent aussi. Pour cause, trouver des stages dans le milieu du salariat devient difficile. Eve, étudiante en troisième année, fait plus de 50 demandes pour chaque stage et ne reçoit la plupart du temps pas de réponse : «Sachant qu’il est obligatoire de faire au moins 3 fois 140 heures en salariat sur la totalité de nos études, c’est une source de stress supplémentaire. On doit toujours chercher pour trouver le stage suivant. C’est de la folie.» A noter également que le stage de dernière année, qui dure environ six mois, n’est pas rémunéré.

Bérangère Poncet, 25 ans et vice-présidente perspectives professionnelles à la FNEO, insiste sur le manque de reconnaissance de la profession vis-à-vis de leurs compétences. Elle ajoute : «Nous sommes 97 % de femmes dans la profession, on n’est pas assez respectées aussi à cause de notre genre.»

Les représentants des syndicats ont été reçus par le ministère à 14 heures, qui ne leur a pas donné les réponses qu’ils attendaient. Leurs témoignages ont été entendus, mais un rendez-vous ultérieur a été fixé à la mi-novembre avec une promesse de travail sur les problématiques avancées, à laquelle ne croient pas vraiment les syndicalistes.