Le parquet de Paris a requis lundi un procès pour le RN ainsi que 28 membres ou ex-membres du parti d’extrême droite, dans l’affaire des assistants parlementaires européens présumés fictifs. Parmi les personnes concernées : Marine Le Pen, sa sœur Yann Le Pen et leur père Jean-Marie, a révélé vendredi l’Agence France presse. Toutes sont soupçonnées d’avoir participé à un système visant à rémunérer sur des fonds européens de pseudo-collaborateurs qui travaillaient, en réalité, pour le parti d’extrême droite. La période visée concerne les mandatures 2009-2014 et 2014-2019.
L’information connue, Marine Le Pen a immédiatement contesté «cette vision» qui lui paraît «erronée du travail des députés d’opposition et de leurs assistants, qui est avant tout politique». Dans le passé, elle avait déjà justifié l’utilisation par son parti de ces collaborateurs pour «faire de la politique avec leur député» au siège du parti, sans «faire le travail pour l’Union européenne» – mais en étant payés par celle-ci.
La liste des personnes visées par le ministère public est longue : 11 eurodéputés ou anciens eurodéputés, treize de leurs assistants et quatre collaborateurs du parti d’extrême droite. La grande majorité des figures du parti du milieu des années 2010 est concernée. L’ancien vice-président du Front national, Florian Philippot, qui a depuis quitté le RN n’a pas été mis en examen dans ce dossier. Soupçonné d’avoir produit un faux rapport, révélé par Libération, pour démontrer l’activité de l’une de ses collaboratrices, soupçonnée de travail fictif, il a été placé sous le statut de témoin assisté.
Outre les deux dirigeants historiques du parti, Jean-Marie Le Pen, qui l’a co-fondé en 1972, et Marine Le Pen, qui l’a présidé entre 2011 et 2022, sont aussi menacés de procès le maire de Perpignan, Louis Aliot, l’ex-numéro 2 du parti Bruno Gollnisch, l’ancien vice-président Nicolas Bay, passé depuis chez Eric Zemmour, l’ancien trésorier Wallerand de Saint-Just ou l’ancien expert-comptable Nicolas Crochet, à l’époque «tiers payant» de la quasi-totalité des eurodéputés. Parmi les assistants parlementaires, on compte Julien Odoul, Pour le Rassemblement national, pris en tant que personne morale, le parquet demande un procès pour complicité et recel de détournement de fonds publics, sur toute la période visée.
Les peines encourues sont importantes : dix ans d’emprisonnement, et une amende de maximum 1 million d’euros ou du double du produit de l’infraction. Le Parquet précise que «le législateur a rendu obligatoire la peine complémentaire de privation du droit d’éligibilité, pour une durée maximale de cinq ans, ou de dix ans pour une personne élue ou membre du gouvernement». Une menace majeure pour Marine Le Pen, qui s’est présentée lundi comme la «candidate naturelle» de son camp pour la présidentielle 2027. La décision sur la tenue effective d’un procès revient désormais aux juges d’instruction, qui pourraient rendre leur ordonnance avant la fin de l’année.
«Escroquerie en bande organisée»
L’affaire débute le 9 mars 2015, après une lettre de dénonciation du président du Parlement européen de l’époque, Martin Schultz, au ministère de la justice français, sur un possible détournement des fonds versés aux députés européens du FN pour la prise en charge de leurs assistants parlementaires. Parallèlement, Schultz saisit l’Olaf, l’organisme européen de lutte anti-fraude. Ses services viennent de constater que dans le nouvel organigramme de la direction du FN, publié quelques jours plus tôt, figurent des assistants «accrédités» (censés travailler avant tout au Parlement à Strasbourg et Bruxelles) et «locaux» (rattachés à la circonscription d’élection de leur eurodéputé).
Ces doubles inscriptions laissent alors supposer que ces personnes sont affectées à d’autres tâches que le Parlement, tout en étant rémunérées par celui-ci. D’autant que certaines ont un contrat de travail qui indique comme adresse d’exécution celle du siège du FN de l’époque, au 78 rue des Suisses à Nanterre. Parallèlement à la procédure de l’Olaf, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire, laquelle concerne d’abord une quarantaine d’assistants parlementaires, avant que ce nombre ne soit ramené à une vingtaine. Une information judiciaire est ouverte le 15 décembre pour «abus de confiance», «escroquerie en bande organisée», «faux et usage de faux» et «travail dissimulé».
Depuis, l’Olaf a réclamé les sommes qu’elle estime indûment payées à plusieurs députés européens. Pour Marine Le Pen, il s’agissait d’un montant de 339 946 euros. La somme correspond à la rémunération de deux anciens assistants parlementaires qui, au lieu d’exercer à Bruxelles dans le cadre de cette fonction, n’auraient en réalité travaillé que pour le FN dans l’Hexagone. Il s’agit de Catherine Griset, amie intime et ancienne directrice de cabinet de Marine Le Pen – le dossier d’enquête porte son nom –, et Thierry Légier, pour des salaires perçus en 2011 alors qu’il était par ailleurs garde du corps de la présidente frontiste. Selon Mediapart, Marine Le Pen a remboursé fin juillet les 326 401 euros qu’elle devait encore au Parlement européen, lequel la menaçait d’une saisie forcée dans le cas contraire. Ce «règlement ne constitue en aucune façon une reconnaissance explicite ou implicite des prétentions du Parlement européen», a précisé son avocat Rodolphe Bosselut à Mediapart.
«Un véritable système»
Les investigations ont été confiées fin 2016 à deux juges d’instruction financiers parisiens. Après plusieurs refus de se présenter devant eux, Marine Le Pen a été entendue en 2019. Elle est mise en examen depuis juin 2017 pour «abus de confiance» et «complicité», des poursuites requalifiées plus tard en «détournement de fonds publics». Dans ses 197 pages de réquisitions, le parquet de Paris estime que «les situations considérées n’avaient rien d’accidentel ni de ponctuel» et qu’«un véritable système avait été mis en place pour faire supporter, par le Parlement européen, une partie des charges de fonctionnement du FN via la prise en charge des salaires d’un nombre croissant de ses employés».
Le ministère public avance un mobile : le parti était alors «en grande difficulté financière». Pour la législature 2014-2019, Marine Le Pen est accusée par d’anciens députés européens de leur avoir imposé très vite après leur élection qu’ils mettent à sa disposition une partie de leur enveloppe budgétaire, soit 21 000 euros mensuels, pour la rémunération de collaborateurs afin de soulager les finances du FN. Le Parlement européen, partie civile, a évalué son préjudice à 6,8 millions d’euros.