Elle est assise sur le rebord de la statue, place de la République. Elle a 24 ans et la candeur intacte. Elle patiente dans le vide mais elle ne le sait pas encore. Dix ans plus tôt, sa classe de troisième s’était recueillie quelques instants. Elle s’en souvient encore. Quatre millions de personnes marchaient les 10 et 11 janvier 2015 dans les rues du pays, dont près de deux millions à Paris, sur cette même place. C’était le temps des pancartes «Je suis Charlie» sur fond noir. Elle avait composé une chanson avec un ami. Elle s’appelait Janvier noir. «Ce matin, je me suis réveillée sur ses paroles.» Avec la volonté de «vivre un moment d’unité», ou du moins quelque chose, un événement, des discussions, et en retranscrire la teneur sur les réseaux – Claire est une «éponge émotionnelle». Pourtant là, sur la place, il n’y a que la vie de d’habitude. Les skateurs, les gens au pas pressé, les mangeurs de sandwichs du midi. Elle songe : «Je suis étonnée.» Puis croise ses jambes et reprend son attente.
Plus tôt dans la journée. Un doigt pointe en lévitation vers une pendule noire tandis que l’aiguille tourne. «Dans une heure, quelque chose comme ça, ça fera dix ans.» Christine tient depuis vingt ans le petit salon de coiffure non loin de la rue Nicolas-Appert, dans le XIe arrondissement, avec son nom en grand sur la vitrine. Aucun client ce mardi 7 janvier au matin. Les rues bouclées, rubalisées, c’est ainsi tous les ans depuis le 7 janvier 20