Le dossier qui sera examiné vendredi au tribunal judiciaire du Mans fera date : les huit animalistes mis en cause dans cette affaire la considèrent en effet comme le «premier procès Demeter», du nom de cette cellule de la gendarmerie dédiée à la lutte contre l’agribashing. Ces activistes sont accusés de dégradations dans plusieurs exploitations, comme chez cet éleveur de Viré-en-Champagne (Sarthe), qui découvrait le 1er janvier 2020, sur le mur de son silo, l’inscription «2020, abolition». Très actif sur les réseaux sociaux pour défendre sa profession, cet éleveur décrit sur sa chaîne YouTube (93 500 abonnés) une épreuve «pas facile à vivre» : «Rien que l’intrusion, c’est déjà hyper agressif», dénonce-t-il. A Sylvains-les-Moulins (Eure), les activistes ont mené une opération de «sauvetage» de sept agneaux la veille de Pâques, en avril 2021, puis bombé sur le sol et un mur de l’exploitation «assassins» et «libération animale» : «Psychologiquement, c’est très dur», témoignait cet éleveur de brebis sur France 3, peu après les faits.
«Au total, on nous reproche 27 faits, surtout des tags ou des slogans inscrits sur des feuilles collées à la farine. Parmi les éleveurs concernés, certains n’ont même pas porté plainte, raconte Vincent Aubry, fondateur du collectif Animal 1st. Il y a eu aussi le sabotage d’un tracteur et le sauvetage des agneaux. Ceux qui ont les recueillis sont mis en cause pour recel. Et nous sommes aussi poursuivis pour association de malfaiteurs.» Les faits se seraient déroulés sur près d’un an et demi, dans six départements.
«Affaire politique»
Vincent Aubry, pour qui «sauver des vies n’est pas un crime», dénonce la disproportion des moyens mis en œuvre par l’Etat dans ce dossier : «Le 8 juin, dès 6 heures du matin, sept équipes de gendarmerie ont été mobilisées pour nous interpeller. Nous avons subi trente-cinq heures de garde à vue, parfois plus de dix heures d’audition. Durant les perquisitions, les gendarmes ont saisi un véhicule, notre matériel, des vêtements, de l’argent et même des bijoux. Des brosses à dents ont été mises sous scellés. Les animalistes sont devenus une cible prioritaire du gouvernement.»
Dans un communiqué commun, les prévenus avertissent qu’ils comptent utiliser le tribunal comme tribune : «Si l’Etat veut en faire une affaire politique, nous comptons bien nous aussi politiser la lutte animaliste, et qu’elle soit enfin reconnue comme le combat de justice sociale qu’elle est, écrivent-ils. Nous prenons la société à témoin sur le fait de harceler et de condamner des citoyennes et des citoyens qui sauvent des vies et dénoncent un système criminel mondial.»
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Ce procès met en lumière le travail orchestré par la cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole, créée en octobre 2019 par Christophe Castaner, l’ex-ministre de l’Intérieur. Parmi les objectifs de Demeter : la lutte contre tous les actes d’agribashing, mais aussi le renseignement. Dans son dossier de présentation, Demeter se propose en effet de «mieux connaître les groupes extrémistes à l’origine des atteintes» et de prévenir «des actions de nature idéologique», voire «de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole».
Tribune pour démenteler Demeter
Aprement critiquée depuis sa création, souvent considérée comme le bras armé de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), Demeter s’est attiré les foudres de nombreuses associations de défense de l’environnement ou des animaux, lesquelles dénoncent une atteinte à leur liberté d’expression et à leurs droits fondamentaux, ainsi que des pressions et des actes d’intimidation de plus en plus fréquents. En janvier 2020, près de 35 organisations, dont la Confédération paysanne, signaient dans Reporterre une tribune demandant le démantèlement de Demeter. Une pétition lancée par 130 chercheurs et universitaires en faveur de la protection des lanceurs d’alerte sur la condition animale recueillait quant à elle plus de 170 000 signatures.
Plusieurs actions en justice visent également Demeter : le tribunal administratif de Paris examinait ce 19 janvier un recours déposé par deux ONG, Pollinis et Générations futures, dénonçant la convention de partenariat qui lie, au sein de Demeter, le ministère de l’Intérieur et les deux principaux syndicats agricoles (la FNSEA et les Jeunes agriculteurs). Un recours semblable avait déjà été déposé par L214, avec le soutien de la Ligue des droits de l’homme, et demandait la dissolution de Demeter. La décision du tribunal administratif est attendue début février.