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Libération
Reportage

Bénéficiaires de l’aide alimentaire : «C’est insupportable de venir aux Restos du cœur alors que l’on travaille»

A Nice comme dans d’autres régions, les associations d’aide alimentaire doivent composer avec une forte hausse de leur fréquentation. Avec comme conséquence moins de denrées par personne.
Dans cette antenne des Restos du cœur du centre de Nice, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 43 % en un an. (Eléonora Strano/Hans Lucas pour Libération)
par Mathilde Frénois, correspondante à Nice
publié le 5 septembre 2023 à 20h38

Le chariot orange zigzague entre les pièces exiguës du local des Restos du cœur. Avec ses roulettes résistantes et sa couleur criarde, il est «le meilleur copain» de Myriam (1). Elle le traîne partout : dans la rue, dans les escaliers, à la laverie. Jamais au supermarché. Myriam ne pourrait pas le remplir. Depuis trois ans, la sexagénaire s’insère chaque mardi dans la file de cette distribution alimentaire du centre-ville de Nice. Elle a remarqué l’arrivée de nouvelles personnes «dans la même galère». C’est que cette antenne des Restos du cœur a connu une augmentation du nombre de bénéficiaires de 43 % en un an. En 2022, le centre accueillait 1 140 familles. Elles sont 1 628 en 2023.

Myriam choisit attentivement entre des spaghettis ou des pennes, de la moutarde ou de la farine, des tomates ou des patates. Cette semaine, il y a des brosses à dents et du dentifrice. Elle plonge dans le chariot quatre Danette et autant de fromages individuels. «C’est tout ?» «Oui je suis désolée, répond la bénévole Catherine. On est en phase aiguë.» L’augmentation du nombre de bénéficiaires engendre une diminution de la taille du panier. Il faut aussi ajuster «les bénévoles, le stockage, les locaux», énumère Caroline Ciarlet, la responsable de ce centre niçois qui envisage d’ouvrir des demi-journées supplémentaires. Pour répondre à la demande, la mairie a d’ailleurs annoncé mardi 5 septembre mettre à disposition un local supplémentaire. «La règle des Restos, c’est un accueil chaleureux, poursuit-elle. Comme on court, on n’a plus le temps pour le côté humain : on ne peut pas demander comment ça va, si les enfants ont besoin de soutien scolaire.» Son collègue René Clausse, d’un autre centre à l’est de Nice, est «alarmiste». «Les Restos n’ont plus les moyens. Il y a 40 % de familles en plus, mais on n’a pas 40 % de budget en plus. Comment on fait ?» Tous deux racontent ces bénéficiaires qui «avaient une adresse et se retrouvent à la rue», ces «10 % d’étudiants qui viennent le samedi matin». Et la part de familles monoparentales qui est passée, en un an, de 32 à 43 %.

«En espérant que ce soit passager»

Myriam vit seule avec son fils. Après une carrière d’animatrice en magasin, une chute l’a éloignée de l’emploi. «Avant j’étais belle et riche. Aujourd’hui je n’arrive plus à suivre, formule-t-elle. Je vends mes fringues, ma déco, mon bric-à-brac. En espérant que ce soit passager.» Myriam perçoit 931 euros par mois. Le jour de la paie, elle est «contente de faire la queue à Carrefour». Jusqu’à tomber sur les étiquettes : «Tous les produits de base que j’avais l’habitude d’acheter ont augmenté. Je trouvais du fromage à 2 euros. Maintenant, il n’y a pas un camembert au-dessous de 3 euros.» Myriam a trouvé une «autre routine pour manger», un régime de pâtes, œufs et thon. Tout ce que l’on trouve aux Restos du cœur.

C’est aussi un accident de la vie qui a mené Priscillia dans la file des Restos. Il y a trois mois, sa mère décède. Toutes deux vivaient en colocation. Priscillia se retrouve seule à assumer le loyer et les charges. Chaque mois, il faut sortir 1 500 euros. Soit exactement son salaire de surveillante de cantine et de garderie. «C’est insupportable de venir aux Restos alors qu’on travaille, dit-elle dans ses baskets à paillettes. Je suis sur la liste pour un HLM mais on m’a dit qu’il y avait dix ans d’attente…» L’entourage de Priscillia n’est pas au courant de ses récentes difficultés financières. «Sans l’inflation, je ne serais jamais venu. Tout est cher. Le poisson, ce n’est pas touchable. La viande, je n’en achète pas.» Priscillia met beaucoup d’espoir dans un logement social et une reconversion professionnelle.

La gêne de pousser la porte

Dans la rue perpendiculaire, le Secours populaire accueille ses bénéficiaires avec une petite corbeille remplie de bonbons. En dépiautant le papier, Janis Lopez relate «une évolution des profils avec les crises économiques». La responsable du centre a vu le Covid, la guerre en Ukraine, puis l’inflation. «On a toujours eu des travailleurs indépendants, mais jamais autant de salariés. Ils ne peuvent pas s’en sortir avec 1 400 euros par mois, surtout s’il y a un bébé. On est attentif : ces familles qui étaient tout juste à l’équilibre ne doivent pas tomber dans la pauvreté.» La moyenne du reste à vivre des bénéficiaires du Secours populaire s’élève à 3 euros par jour et par personne. Khaola et Brahim arrivent à midi, juste avant la fermeture. Ils ont 21 ans. La première est étudiante, le second est réfugié. Ils ne se connaissent pas mais c’est leur première fois au Secours populaire. Khaola essuie ses larmes en choisissant ses plats préparés, ses fruits et ses œufs. Brahim ne réfléchit pas en entassant les Actimel et un ananas dans son sac isotherme. Tous deux racontent la hausse des prix dans les magasins, la difficulté à trouver un travail, la gêne de pousser la porte pour la première fois.

Dans les Alpes-Maritimes, le nombre de bénéficiaires du Secours populaire a augmenté de 35 % cette année. Un chiffre qui oscille entre 20 et 40 % à l’échelon national. «On a vu arriver des salariés qui n’arrivent plus à vivre du fruit de leur travail. Les classes moyennes inférieures sont étranglées», confirme le secrétaire général dans le département, Jean Stellittano, qui pointe un «problème structurel». «L’aide alimentaire ne doit pas devenir un complément de revenu au smic ou à la retraite. Nous ne sommes pas une délégation du service public.»

(1) Le prénom a été changé.