Annie aime être postée aux légumes. Tablier ocre et fines lunettes, la sexagénaire a «toujours voulu s’engager», une fois retraitée. En 2017, elle est devenue bénévole aux Restos du cœur, dans le quartier populaire de Fontbarlettes, à Valence (Drôme). Chaque semaine, elle assure la distribution du jeudi. Une trentenaire, les yeux cernés, se présente face à elle. «Qu’est-ce qui vous tente, madame ? Choisissez», invite Annie, regard attentif. La bénéficiaire hésite. «Ce n’est pas mon jour.» Son enfant s’agite dans la poussette. «Courage, il faut aller au bout quand même, peut-être profiter de la sieste du petit pour s’assoupir un peu…» La mère sourit, étal suivant.
Editorial
Annie n’a pas oublié sa première journée de bénévolat, il y a six ans. «En sortant d’ici, j’étais en colère de voir autant de gens dans la mouise. Je suis moins fâchée aujourd’hui. Ce n’est peut-être pas bon signe, parce que je me suis habituée.» Elle reprend, songeuse, devant des courges et des patates : «Ça me perturbe, tous ces gens qui restent sur le carreau, est-ce qu’il faut absolument un certain nombre de pauvres ?» Sa silhouette menue vibre lorsqu’elle s’indigne, gestes en suspens. La main tendue. Celle qui donne, celle qui reçoit. Aux Restos, il y a celles qui trient, qui piochent dans les réserves. Et celles qui rangent soigneusement les produits dans le sac de course, qui se lèvent, fugaces, pour dire : «A la semaine prochaine.» Toutes ces mains se réchauffe