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Nostalgie

Cahiers de vacances : qui sont ces adultes qui s’en achètent de leur plein gré ?

Depuis 2020, plusieurs magasins observent une hausse des ventes des cahiers de vacances pour adultes : cette année encore, de nombreuses personnes s’y sont mis pour passer le temps et retomber en enfance.
«Toutes les générations ont connu ces cahiers et les adultes ont peut-être tendance à idéaliser ce qu’ils étaient.» (ingwervanille/Getty Images)
publié le 22 août 2024 à 19h09

Daphné raconte la routine matinale de cet été : après s’être réveillée, l’étudiante de 22 ans, en deuxième année de cinéma et d’art du spectacle, a pris l’habitude de se préparer un thé. Juste avant de le boire, elle se pose devant une table avec son cahier de vacances. Pour la première fois de sa vie d’adulte, elle s’est acheté un cahier pour l’été et a fait le choix du «Passeport adulte» aux éditions Hachette : «Lorsque j’étais dans le rayon des cahiers, je me suis revue petite, accompagner ma tante ou mes parents m’en acheter un. Ça m’a fait rire de voir la moi adulte en acheter de son plein gré.» Partagés entre nostalgie et souvenirs désagréables, de nombreux adultes se procurent des cahiers, dont les ventes ont explosé cette année, selon plusieurs grandes enseignes.

Lorsqu’elle l’aura terminé, Daphné gardera son cahier de vacances «en souvenir» dans sa chambre. Mais pour l’heure, la Rennaise, qui en est «à la moitié voire aux trois quarts», même si elle a sauté «quelques pages», doit le terminer. Alors, pour compléter les pages ponctuées de problèmes, d’exercices d’analyse littéraire et d’illustrations, ce sont toujours les mêmes gestes. «Chaque matin, je remplis une demi-page ou une page entière pendant environ trente minutes car je prends le temps.» «J’ai toujours aimé apprendre même s’il y avait des moments où je trouvais ça barbant», se souvient-elle. Parfois, elle était tenue de remplir «une ou deux pages avant d’aller à la plage».

Une tendance portée par les influenceurs

Si Daphné garde un «bon souvenir» de ses cahiers de vacances, Alexandra (1), 22 ans, les a toujours vus comme «une corvée» : «Je me souviens : j’étais en CE1 ou en CE2 et je devais remplir une page de mathématiques. Je mettais des heures à la finir. C’était horrible !» Pour la première fois de sa vie, l’apprentie éducatrice de jeunes enfants a acheté volontairement un cahier de vacances, sur les enquêtes policières – dans celui-ci, l’utilisateur revêt le costume d’investigateur et a pour mission de résoudre des énigmes ou encore des mots fléchés – après avoir vu une tiktokeuse en parler sur les réseaux sociaux.

«De nombreux influenceurs, qu’ils soient auteurs ou non, ont parlé de cahiers de vacances pour adultes et les ventes ont explosé, indique Gildas Vincendeau, chef produit livres de Fnac-Darty. En parallèle, on observe un élargissement de la gamme des éditeurs qui n’étaient pas acteurs sur le secteur et qui l’investissent souvent par l’intermédiaire de personnages médiatiques.» Même constatation chez Cultura, dont l’offre en cahiers de vacances pour adultes est passée «de 36 références en 2023 à 55 cette année. Des quantités disponibles ont été augmentées», détaille Lucie Delthil, responsable de la communication de l’enseigne.

Cette tendance touche tous les profils : «Il peut s’agir de parents qui font un achat d’impulsion en cherchant des cahiers pour leurs enfants, indique Gildas Vincendeau. Il y a aussi des gens qui viennent chercher de la littérature avant de partir en vacances et qui prennent des cahiers en complément.»

Le «syndrome de Peter Pan»

Joséphine Gay, responsable éditoriale de la maison d’édition 404, qui a édité le «Cahier d’enquête de Franck Tilliez», le cahier de vacances le plus vendu cette année avec près de 30 000 exemplaires écoulés, observe aussi un effet nostalgie : «Toutes les générations ont connu ces cahiers et les adultes ont peut-être tendance à idéaliser ce qu’ils étaient», explique-t-elle. Un phénomène tout à fait normal selon Catherine Verdier, psychologue, conférencière et autrice : «Un cahier de vacances, c’est un peu comme les Fraises Tagada : c’est quelque chose que l’on connaît et qui nous apporte du réconfort, développe-t-elle. Pour ceux qui n’ont pas de bons souvenirs des cahiers de vacances, ils vont tenter de restaurer l’image qu’ils avaient dans leur tête pour la rendre moins difficile en la revivant.»

A cela s’ajoute ce que les psychologues appellent le «syndrome de Peter Pan» : «L’anxiété est très présente chez les jeunes en raison de la conjoncture économique, de l’écologie ou de leur vie future. Certains ont peur de grandir et ont besoin de rester dans l’enfance. Revenir au cahier de vacances est ainsi régressif car cela signifie retourner au cœur de l’enfance», explique la psychologue.

Alexandra est reconnaissante envers sa mère : «Elle avait raison de vouloir garder une continuité avec l’école», admet-elle. Aujourd’hui, elle le remplit seulement quand elle le souhaite : «Je peux résoudre des enquêtes deux, trois jours d’affilée et ne pas y toucher pendant plusieurs jours. Je ne ressens aucune culpabilité car cela reste un plaisir. Demain je le ramènerai à la plage», affirme-t-elle. Elle en est à la dixième enquête, il lui reste encore quelques jours pour arriver à la page finale.

(1) Le prénom a été modifié.