14 ans. C’est l’âge moyen auquel un jeune consomme de l’alcool pour la première fois. Dans un communiqué publié ce 12 décembre, France Addictions alerte sur une «tolérance sociale» de la population, se traduisant par une acceptation de la consommation d’alcool chez les mineurs. 4 parents sur 10 ont par exemple déjà fait goûter de l’alcool à leur enfant, d’après une étude de l’entreprise BVA Xsight réalisée pour l’association. Cette tolérance est encore plus importante lors d’un évènement familial ou festif, moment auxquels 51 % des Français jugent la consommation de jeunes de 15 à 17 ans «acceptable». Ce chiffre est de 33 % concernant les fêtes entre adolescents, pour la même tranche d’âge.
Les «efforts de prévention auprès des plus jeunes», de la part des pouvoirs publics et des acteurs de la santé, seraient ainsi remis en cause par cette attitude. Quelque 45,9 % des adolescents de 17 ans ont déjà expérimenté l’ivresse au cours de leur vie, d’après cette étude. «Ces résultats peuvent s’expliquer par l’aspect initiatique et culturel, et il est certain que les Français ne pensent pas à mal en agissant ainsi. Pour autant, cette pratique envoie un signal suggérant que l’alcool est sans danger, une contre-vérité au regard des données de la science», interprète de son côté Addictions France.
Cerveau pas encore mature
Pourtant, l’expérimentation de l’alcool à cet âge n’est pas anodine. Julien Cabé, psychiatre addictologue au Centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), alerte sur «l’exposition précoce aux substances psychoactives», dont fait partie l’alcool. Selon lui, son usage peut «se compliquer de risques et/ou de dommages pour la santé, voire causer une dépendance», s’il advient et perdure.
Or, les menaces et les conséquences pour les jeunes sont particulièrement délétères, davantage même par certains aspects que pour la population adulte. En effet, le cerveau ne termine sa «maturation» qu’entre 21 et 25 ans, prévient le psychiatre. Les années précédant cet entre-deux constituent «une période de vulnérabilité» pour ce public, complète-t-il.
Julien Cabé explique par ailleurs que «ce n’est pas pour rien qu’au moment de l’adolescence il y a une envie plus importante d’expérimenter de nouvelles choses, de vouloir rechercher de nouvelles sensations», du fait de «profondes modifications hormonales et comportementales, ainsi que de la réorganisation cérébrale propre à l’adolescence, qui impliquent un développement du système limbique [en charge des émotions, ndlr] plus rapide et précoce que celui du système préfrontal [responsable du contrôle de soi-même]». D’après France Addictions, 80 % des Français connaissent les risques de l’alcool pour la santé des adolescents, dans le cas d’une «consommation régulière». Mais, lorsque celle-ci est «occasionnelle», ils sont minoritaires (moins d’un sur deux) à considérer que les dangers sont «élevés».
«Sois bourré, tu iras mieux»
Malgré les risques encourus pour la santé, les jeunes consomment de l’alcool. Ils seraient incités à le faire «en soirée», le plus souvent «avec des potes», expliquent plusieurs lycéens. En 2022, ils étaient ainsi près de 80 % à en avoir déjà bu en classe de première, selon le bilan annuel de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives. «“Tu ne te sens pas bien, viens boire un verre avec moi.” “Sois bourré, tu iras mieux”… Quand on est jeunes, c’est considéré comme hyperstylé, sinon tu es nul. C’est la même chose pour les clopes. Tu veux ressembler à tout le monde», constatent Justine et Gabrielle, toutes les deux âgées de 17 ans.
Concernant les mineurs, France Addictions réclame de la part du gouvernement davantage de contrôle de la pièce d’identité dans les établissements concernés, au moindre doute. Plusieurs tests menés par l’association pendant l’été 2023 avec des moins de 18 ans dans une quarantaine d’établissements (magasins, supermarchés…) en Loire-Atlantique montrent par exemple que la loi n’est pas respectée. Par ailleurs, des témoignages de lycéens corroborent ce fossé gigantesque entre la théorie et les faits.
Appliquer la loi et responsabiliser
«Dans les bars, on ne m’a jamais rien demandé pour acheter de l’alcool. Ce n’est pas du tout surveillé. En hypermarché, j’ai dû prouver mon identité une ou deux fois. La carte est généralement acceptée en format numérique [permettant plus facilement la falsification]», explique Zoé, lycéenne de 17 ans à Paris. «On peut accéder trop facilement à l’alcool en étant mineur», se désole Balla, qui a le même âge. Et ce ne sont pas les parents qui vont entraver cet appel au mimétisme. «Les premières fois, ma mère m’achetait de l’alcool pas fort, de la bière, pour limiter ma consommation. Mais ça ne marchait pas du tout [pour restreindre mon usage]», raconte une autre.
Selon l’Institut national de recherche et de sécurité, l’alcool est la deuxième substance psychoactive consommée, toutes tranches d’âges confondues. Quelque 10 % de la population en feraient l’usage quotidiennement, selon cette même source. De quoi ne pas donner l’exemple quand on sait que près d’un quart des Français déclare avoir trop bu ou avoir été ivres devant un adolescent une fois dans l’année, d’après BVA Xsight.