Menu
Libération
Santé

Chlordécone : les députés votent la reconnaissance de la «responsabilité» de l’Etat aux Antilles

Plus d’un an après le non-lieu dans l’affaire de ce pesticide en Martinique, le texte du socialiste Elie Califer a été voté à l’unanimité par les députés, ce jeudi 29 février, pour reconnaître la «responsabilité» de la France.
Une plantation de banane en Martinique en 2019. (Benoit Dunand /Hans Lucas.AFP)
publié le 29 février 2024 à 11h34
(mis à jour le 29 février 2024 à 18h52)

Texte symbolique ou réel aveu des ravages de ce pesticide ? Les députés ont voté ce jeudi 29 février une proposition de loi socialiste visant à reconnaître «la responsabilité» de l’Etat dans le scandale sanitaire du chlordécone, qui a empoisonné les Antilles. Sur 101 votes exprimés, seul un député a voté contre. La ministre des Outre-Mer, Marie Guévenoux, s’est félicitée de cette adoption, en remerciant tous les bancs de l’Assemblée nationale pour avoir dit «la réalité du drame du chlordécone dans les Antilles, du drame pour les familles et pour le territoire».

Cette adoption signifie désormais que «la République française reconnaît (ra) sa responsabilité dans les préjudices sanitaires, écologiques et économiques» causés par le chlordécone en Martinique et en Guadeloupe, selon le texte du député Elie Califer – élu en Guadeloupe. La France doit avoir pour objectif «la dépollution des terres» et «l’indemnisation des victimes», poursuit le texte qui a été adopté en commission le 14 février.

Interdit aux Etats-Unis dès 1975, le chlordécone, pesticide répandu dans les bananeraies pour lutter contre le charançon, est resté autorisé en France jusqu’en 1990, et même jusqu’en 1993 (15 ans après les premières alertes de l’OMS à son sujet) aux Antilles, où il a bénéficié d’une dérogation. Par cette loi, le groupe PS disait espérer «enfin une reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat» dans ce «scandale environnemental et sanitaire».

L’Etat n’a pas tous les torts

«C’est une première étape essentielle» qui permettra «d’introduire dans la loi les objectifs» de dépollution des terres et des eaux ainsi que l’indemnisation des victimes, notait le Parti socialiste avant l’adoption de la loi. Mais ce texte a surtout une valeur symbolique. «C’est très important, même si ça ne change pas le montant des indemnisations», reconnaît un cadre du groupe.

Le texte a fait l’objet d’une trentaine d’amendements, dont deux par la députée Charlotte Parmentier-Lecocq pour exprimer les réserves du camp macroniste. L’un vise à remplacer la «responsabilité» de la République française dans les «préjudices» subis par une «part de responsabilité dans l’ampleur des dommages». L’autre réclame une «instance indépendante» pour évaluer les actions de dépollution et de protection des populations.

«C’est important de reconnaître une part de responsabilité de l’Etat, mais la responsabilité est partagée, sinon c’est un peu facile», dit-elle à l’AFP, citant les fabricants du chlordécone, les propriétaires d’exploitation qui l’utilisaient et les élus locaux «qui plaidaient à l’époque pour des dérogations». Dénonçant le «flou artistique» du texte initial d’Elie Califer, elle estime qu’il n’apporte pas de «réponses concrètes sur la dépollution et l’indemnisation» des victimes.

Le député PS à l’origine de la proposition de loi dénonce, de son côté, «une réécriture» du texte. «C’est inacceptable. Ca va être un bras de fer», annonce-t-il à l’AFP. «On a besoin que la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat soit inscrite dans le marbre de la loi. C’est important pour nous. Les territoires des Antilles se sentent abandonnés à leur sort. Après, viendront les questions d’organisation et du fonds d’indemnisation», poursuit le député de Guadeloupe.

Un texte insuffisant pour les Antillais

Aux Antilles, où le non-lieu prononcé en janvier 2023 par deux juges d’instruction parisiennes enquêtant sur le scandale avait provoqué beaucoup d’amertume, le vote sera scruté de près. Christophe Lèguevaques, avocat des parties civiles dans l’information judiciaire, note l’absence de reconnaissance du préjudice moral et regrette lui aussi que seule la responsabilité de l’Etat soit engagée.

Un positionnement qui rejoint celui du collectif «Lyannaj pou dépoliyé Gwadloup» (Alliance pour la dépollution de la Guadeloupe), pour qui le texte ne va pas assez loin, notamment en n’impliquant pas les producteurs de l’époque. «Nous sommes favorables, bien sûr, à une reconnaissance de la responsabilité de l’Etat», souligne Laurence Maquiaba, membre de ce collectif, «mais nous ne pouvons pas considérer que l’Etat est seul responsable, les pollueurs doivent aussi être concernés».

En Martinique aussi, les militants attendent plus. Pour Philippe Pierre-Charles, porte-parole du collectif «Simenn Matinik doubout, gaoulé kont chlordécone» (Semaine de la Martinique debout - révolte contre le chlordécone), cette reconnaissance serait «un élément non négligeable» mais doit «ouvrir la porte à un programme de réparation». «Et là, ce n’est pas encore ce qui est mis clairement sur la table», regrette-t-il.

Comme nombre d’acteurs engagés dans le dossier, Philippe Pierre-Charles reste marqué par le non-lieu prononcé en janvier 2023, vu à l’époque comme un «déni de justice». En cas d’échec au Parlement, les Martiniquais resteront «déterminés», prévient-il : «C’est la pression populaire qui compte. Si jamais les macronistes ne le comprennent pas, il faudra une mobilisation».*

Annoncée en janvier par Santé publique France, une nouvelle étude en Guadeloupe et en Martinique va mesurer «l’évolution de l’imprégnation» de la population au chlordécone et à d’autres pesticides comme le glyphosate, ainsi qu’à des métaux lourds comme le plomb. La précédente étude a montré que plus de 9 Antillais sur 10 avaient ce pesticide détectable dans le sang, et que 14 % des adultes en Guadeloupe et 25 % en Martinique dépassaient le seuil au-delà duquel des effets sont possibles sur la santé.

Mis à jour : à 18 h 52 avec l’adoption du texte.