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Convoi humanitaire en Ukraine: une dernière nuit dans le bus avant une nouvelle vie en France

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
Le bus affrété par des bénévoles a quitté Przemysl, en Pologne, traversé l’Allemagne et doit rejoindre Paris ce samedi. A bord, les réfugiés sont encore hébétés par les événements des deux dernières semaines.
A bord du bus humanitaire reliant la Pologne à la France, samedi. (Albert Facelly/Libération)
publié le 12 mars 2022 à 13h02

Quand le bus a quitté le parking du supermarché Tesco, à Przemysl, à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine, un coucher de soleil a plongé les réfugiés ukrainiens dans un doux moment de contemplation. Comme si, pour la première fois depuis deux semaines, ils prenaient le temps de regarder la lumière s’éteindre lentement. Certains laissaient derrière eux plusieurs jours de galère : ils ont traversé leur pays sous les bombes, abandonné leurs maisons et les leurs pour trouver du repos à Przemysl, en Pologne. En vain : chaque jour, plusieurs dizaines de milliers d’Ukrainiens affluent vers ce point chaud, les capacités d’accueil dans la ville sont saturées. C’est ce qui a décidé la plupart d’entre eux, principalement des mères et leurs enfants, à grimper dans un autocar affrété par les convois solidaires de bénévoles français. Direction Paris.

A l’avant du bus, on tue le temps comme on peut. On croise par la fenêtre d’autres convois qui font route vers l’Italie ou l’Espagne. On se fait coucou. On revit les images des derniers jours : les milliers de personnes entassées dans des centres sur des lits de camp, les enfants épuisés qui arrivent au poste de frontière par des températures négatives, les larmes des mères ukrainiennes, le réconfort des bénévoles… Certaines femmes passent des appels visio à leurs maris pour les informer du départ. Des ados, comme Anna (1), une jeune francophone de 16 ans rencontrée la veille, regardent les paysages défiler : elle a encore du mal à comprendre ce qui lui arrive. D’abord l’invasion de la Russie il y a quinze jours, puis la fuite cette semaine. Maintenant, il faut se projeter dans un nouveau pays. «Si on m’avait dit un jour que j’irai vivre en France… Mais je n’avais pas non plus imaginé qu’il y aurait la guerre chez moi», glisse Anna au cours d’un arrêt dans une station-service allemande.

A côté d’elle, une photographe de mode de 19 ans assure qu’elle connaît bien Paris : elle y a des amis et s’y est déjà rendue en vacances. Elle vivait près de Kiyv, et a traversé tout le pays seule jusqu’à Przemysl en début de semaine. Une vie d’adulte, déjà. «Mes parents sont restés à la maison. C’était trop compliqué pour eux de quitter notre maison, nos animaux…» explique-t-elle. Pourra-t-elle compter sur l’aide de ses connaissances une fois arrivée à Paris ? Elle l’ignore. Mais c’est ce qui l’a motivée à grimper dans ce bus en direction de la capitale française.

A 10 heures du matin ce samedi, l’autocar passe enfin côté français. Devant un champ d’éoliennes qui défile aux fenêtres, des mères de famille prennent des vidéos qu’elles envoient à ceux restés là-bas. La nuit a été longue, les chauffeurs ont roulé d’une traite. Les passagers ont dû trouver le sommeil sur les sièges étriqués du véhicule. Anna affirme qu’elle en a «mal à la tête». A une station-service près de Metz, les familles posent le pied dans l’Hexagone, sans émotion particulière. Pour certaines, c’est la première fois. La plupart ne parlent pas un mot de français. A leur arrivée à Paris, elles seront prises en charge par des associations qui les aideront à faire les démarches nécessaires. Pour Anna et tous les autres passagers, une longue reconstruction débute.

(1) Le prénom a été modifié.