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Libération
Reportage

Dans la forêt guyanaise, une pirogue contre l’isolement des Amérindiens wayampi

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Aux confins des territoires de la République, des expéditions assurent un minimum de présence administrative et dispensent l’aide de l’Etat aux habitants des villages guyanais sur le fleuve Oyapock, lesquels balancent entre deux cultures depuis cinquante ans.
Seuls les Amérindiens savent manœuvrer les pirogues sur l’Oyapock et ses innombrables «sauts», ces immenses rapides où la coque d’aluminium doit serpenter entre les roches pour ne pas s’y heurter. (Emile Boutelier)
par Emile Boutelier, Envoyé spacial à Trois-Sauts (Guyane)
publié le 28 mars 2021 à 14h47

Prostrés sous leurs capes de pluie ruisselantes, transis par la nuit, les passagers de l’une des trois pirogues affrétées par la préfecture de Cayenne, en Guyane, font le dos rond. Alors qu’elle aurait dû mettre trois heures pour parcourir les 140 km qui séparent l’embarcadère de Saut Maripa, près de Saint-Georges, du bourg de Camopi, l’embarcation est arrêtée depuis plusieurs heures, à contre-courant, au milieu du fleuve Oyapock et de la jungle amazonienne. Avarie moteur. A son bord, ni téléphone satellite ni réseau. Par-delà l’immensité mouvante du fleuve, les berges sont masquées par d’imposantes parois de forêt vierge. Pas la moindre âme qui vive. Après le retour inespéré d’une pirogue du convoi à l’approche de minuit, et malgré l’envoi, sans succès, d’un hélicoptère de secours, la coque d’aluminium mettra neuf heures à gagner Camopi, soit le même temps que pour parcourir les 9 000 km du vol Paris-Cayenne.

Chargée d’apporter aux communes amérindiennes de l’Oyapock les services publics dont elles sont dépourvues, la «pirogue de l’Est» compte des travailleurs sociaux (CAF, Pôle Emploi, Sécurité sociale), des membres de la préfecture, un contrôleur des impôts, des recruteurs militaires et même un «DR» – pour dispositif de recueil –, une imposante machine à faire les cartes d’identité. 28 personnes iront à Camopi, 1 200 habitants, douze pousseront jusqu’à Trois-Sauts, à une journée de pirogue supplémentaire, dernier village sur l’Oyapock avant la forêt inviolée. Une expéditio