La mission d’un gendarme du peloton de gendarmerie de haute montagne n’attend pas le sommet. Elle commence sur le parking. L’adjudant Thomas Jany aide les randonneurs à garer leur voiture, il s’assure que tout le monde a prévu une veste et il empaquette du pain dans son sac à dos. «C’est pour le gardien du refuge, commente-t-il. Cette entraide, ça fait partie de la culture montagne.» Des notions parfois étrangères aux randonneurs. Avec le Covid et le besoin de grands espaces, la destination montagne a gagné entre 10 et 30% d’adeptes l’été dernier dans les Alpes-Maritimes. Des néophytes qui maîtrisent mal les codes de la montagne, allant parfois jusqu’à mettre en danger leur propre intégrité et la quiétude des lieux. En uniforme, les gendarmes sont forcés de mener des actions de prévention.
Thomas Jany quitte le bitume du parking pour les pierres du chemin. Il entame la montée de la Gordolasque, aux portes du Mercantour, pour emprunter le fréquenté sentier qui mène au refuge de Nice, à 2 230 mètres d’altitude. Autour de lui des fleurs protégées qu’il est interdit de ramasser, le sifflement des marmottes qu’il ne faut perturber, des sommets à 3 000 mètres qu’on ne peut dévaler en VTT. Des consignes fixées par décret et affichées sur panneaux. Ce jour-là, le gendarme croisera pourtant un couple avec un chien en laisse. Demi-tour après réexplication : c’est interdit et c’est 135 euros d’amende. L’agent argumentera longuement avec Adéla et Marie. Ces deux animatrices encadrent un groupe de 30 Tchèques, sans diplôme d’Etat ni guide de haute montagne. Ça aussi c’est prohibé, ce sera mentionné à leur employeur. «Il n’y a aucune zone de non-droit. C’est encore un espace de liberté qu’il faut préserver, commente Thomas Jany. Dans le cadre de ma tournée des refuges, je fais de la prévention. Ce n’est pas une mission bête et méchante. Dès le moment où on met l’uniforme, ça fonctionne.» L’agent n’est pas armé et ne sortira pas, ce jour-là, son carnet de PV.
«Besoin de calme»
Nadav et Avraham, 19 ans, ont une petite peur du gendarme. Ils ont été interloqués de le croiser au pied des cimes. C’est la première fois que ces copains partent en randonnée. Ils ont surtout senti passer les 5 heures de marche et les 500 mètres de dénivelé positif avec, à bout de bras, des sacs cabas avec duvets et bières. Là-haut, ils ont profité d’un feu de camp : c’est interdit. En bas, ils écoutent de la musique avec une petite enceinte : c’est un trouble. «Dans un contexte post-Covid, il y a un engouement du public pour les espaces naturels, parfois au détriment de la quiétude de la faune sauvage, pointe Julie Molinier, chef du service Sensibilisation et valorisation du territoire au parc national du Mercantour. Dans certains hotspots, on se retrouve avec une fréquentation balnéaire. Cette situation ne peut pas être pérenne car elle remet en cause la protection. Il faut trouver la conciliation.»
«Géographies en mouvement»
Un partenariat avec Waze pour limiter la fréquentation des parkings a été instauré, des panneaux lumineux installés, des dépliants distribués. «Ce sont des comportements urbains et périurbains, explique Emmanuel Gastaud, en charge de la fréquentation au Mercantour. Au lac d’Allos, c’était barbecue, saucisse, musique. Comme sur la plage, alors qu’on est dans un site naturel fragile et sensible. Pour vivre, la flore et la faune ont simplement besoin de calme. On est chez eux, on est les invités.»
Randonnées en tongs…
Sur le chemin, les habitués de la montagne ont aussi remarqué l’affluence – due en partie à la fermeture de certains secteurs consécutivement à la tempête Alex – et les mauvaises pratiques. Patrick qui «aime être un peu seul et faire des photos» a vu des promeneurs nourrir les marmottes et d’autres courir derrière les bouquetins. Les premières deviennent moins farouches et les seconds remontent vers les cimes. Magalie, très équipée pour la marche, a déjà entendu un drone voler en lisière de parc : «Ça fait des nuisances pour les animaux», pointe-t-elle.
Il y a l’impact sur la quiétude, et il y a les dangers. Marie, l’animatrice du groupe tchèque descendait la montagne en tongs. Antoine, un vacancier, remontait avec une semelle en moins sous sa chaussure. Ces anecdotes, Christophe Fournier, le gardien du refuge, ne les compte plus. Sur la terrasse du refuge de Nice, au pied du mont Clapier, le gestionnaire du lieu voit des randonneurs arriver sans veste ou s’attaquer à «un 3 000» avec un simple coupe-vent. Il raconte qu’un homme a sorti une grande carte et a montré un tracé qu’il projetait d’emprunter : c’était la frontière franco-italienne et non un sentier.
Son métier a changé. Il renseigne et il rassure. Selon le PGHM, il n’y a eu «ni plus ni moins» d’interventions de secours en montagne la saison dernière. Christophe Fournier sait déjà qu’il verra débarquer des randonneurs à la tombée de la nuit. Jamais des marcheurs n’auraient pris ce risque auparavant.