L’augmentation du nombre de colis a forcément bouleversé l’organisation du travail au sein du groupe la Poste. Nicolas Jounin, maître de conférences en sociologie à l’université Paris-VIII-Saint-Denis, est l’auteur du livre le Caché de la Poste : Enquête sur l’organisation du travail des facteurs (La Découverte, 2021). Il analyse pour Libération cette mutation en cours.
Comment est organisée la gestion des colis au sein de la Poste ?
Dans les milieux ruraux, ce sont les postiers qui continuent d’acheminer les colis. Ils vont tout distribuer : le courrier, les recommandés et les colis. Ça coûte trop cher à la Poste de faire deux circuits différents, alors elle mutualise et préfère avoir recours au facteur. Ça pose des problèmes, notamment parce qu’on rallonge ses tournées sous prétexte que le volume du courrier diminue, alors que celui des colis augmente.
Dans les grandes agglomérations, ces activités sont plutôt séparées. On trouve des facteurs pour le courrier et des agences de filiales pour les colis, au sein desquelles il y a trois-quarts de livreurs sous-traitants avec des statuts divers. L’organisation du travail y est prescrite par la Poste, même s’ils font semblant que non.
Est-ce que le facteur tel qu’on le connaît aujourd’hui pourrait demain être un sous-traitant ?
Je pense qu’il y a une forme d’hésitation du groupe la Poste qui se demande à quel point il faut aller vers la sous-traitance. Il y a un certain savoir-faire sur le courrier par exemple : les clients mettent un certain prix dans un recommandé pour avoir une qualité d’échanges. Je pense que la direction hésite sur ce qu’il faut garder en interne pour conserver une certaine maîtrise de ce qu’il se passe. Mais, au regard de ce que la Poste fait avec les colis, ils peuvent très bien décider de recourir à de l’externalisation à terme dans cette distribution ordinaire. Quand on voit ça, on peut s’interroger : il existe des intérimaires parmi les facteurs et peut-être même des sans-papiers.
Plus généralement, il y a dans cette sous-traitance quelque chose d’assez classique que j’ai déjà vu dans le BTP, c’est l’externalisation des inégalités. Dans le bâtiment, le fait d’employer des sans-papiers est souvent un moyen de recourir à une précarité à durée indéterminée, avec parfois des heures supplémentaires non payées et un dépassement de la durée d’heures légales. Cela sert aussi au donneur d’ordre pour se défendre, comme c’est le cas de la Poste actuellement. Il va rejeter la faute sur l’intermédiaire.
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La Poste conserve-t-elle une bonne image auprès du public aujourd’hui malgré cela ?
Il y a plusieurs choses. D’une part, je pense qu’on avait une image trop folklorique de ce qu’était la Poste auparavant. Les facteurs, au début du XXe siècle parcouraient 30 km à pied chaque jour et, s’ils voulaient un vélo, ils devaient se le payer eux-mêmes. Pour avoir des gens qui acceptent des conditions de travail difficiles, un salaire pas très élevé et l’obligation de vivre loin de ses racines, il y avait certes la sécurité de l’emploi. Mais à côté de ça, on comptait 20 à 25 % d’auxiliaires : des gens qui n’avaient pas le statut, étaient précaires et étaient surtout des femmes. Il y avait aussi des formes de taylorisme assez brutales notamment dans les centres de tri.
A partir de la fin des années 90, puis quand elle est devenue une société anonyme [en 2010], on lui a imposé d’être rentable. Elle cherche donc à l’être alors que ça n’est pas forcément si évident car le courrier diminue beaucoup. Il y a une stratégie d’intensification du travail et d’extension au national et à l’international pour acquérir des structures plus ou moins liées : dans la sécurité informatique, les données de santé, l’accompagnement des seniors par exemple. La Poste conserve cette idée d’être un opérateur intégré de confiance. Ils capitalisent aussi sur leur statut mixte : ils ont encore des missions de service public, qui leur donnent un statut particulier.