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Libération
Reportage

Dans l’Yonne, des villages «amis des aînés» pour mieux intégrer les plus âgés

Face à une population vieillissante, certaines communes du département veulent faire des personnes âgées des acteurs de leurs territoires. La ville de Joigny adapte ses services pour répondre aux besoins spécifiques de cette population.
Au cours d'un «repas de l'amitié» organisé par la Ville de Houilles, en janvier 2015. (Raphaël Fournier/Divergence)
par Léa Warrin, envoyée spéciale dans l'Yonne
publié le 28 septembre 2024 à 14h50

Gisèle, 92 ans, se présente comme «responsable du scrabble». L’ancienne coiffeuse vit à Joigny depuis soixante-huit ans. Veuve depuis treize ans, elle se rend plusieurs fois par semaine dans la petite maison des associations, au cœur de cette ville de l’Yonne de presque 10 000 habitants. «Je suis partout, connue comme le loup blanc», glisse-t-elle en comptant les points. Autour d’elle, l’ambiance est rieuse. Elle tend une brochure à chaque personne qui entre dans la pièce, sur laquelle on peut lire le nom de l’association présente : Accueil des villes françaises (AVF). «Cette association, comme beaucoup d’autres dans la ville, permet de créer du lien entre nous, de nous retrouver, pour sortir d’une forme d’isolement», témoigne Colette, 81 ans. Depuis 2023, la ville de Joigny a obtenu le label «ville amie des aînés», créé en 2021.

«L’idée première du label était de sortir du regard purement médico-social porté sur la vieillesse. On ne parle d’eux qu’en termes de pension de retraite et d’accès au soin, souligne Pierre-Olivier Lefebvre, délégué général du Réseau francophone des villes amies des aînés (RFVAA). Les collectivités qui s’engagent prennent le sujet de l’âge à bras-le-corps et décident de réintégrer les particularités du vieillissement dans leurs politiques publiques.» En février 2024, le réseau compte 38 territoires labellisés. Le label permet notamment d’obtenir un soutien dans la conception de projets dédiés aux personnes âgées, à partir d’un fond d’appui doté de huit millions d’euros.

«Voir le potentiel et les capacités de ces seniors»

Dans les rues de Joigny, de nombreuses têtes blanches observent avec attention les affiches détaillant le riche programme associatif de la commune. Loin de l’image des personnes âgées isolées en milieu rural, le label veut mettre en avant le dynamisme de ces villes vieillissantes, qui se mobilisent pour mener des actions pensées pour les moins jeunes : activités sportives adaptées, visites culturelles ou repas conviviaux. Dans l’Yonne, 33 % de la population est retraitée, selon l’Insee. Un pourcentage valorisé par le label qui fait de cette tranche d’âge des acteurs à part entière du territoire, à rebours des stéréotypes âgistes.

«Au sein du réseau, nous pensons qu’il s’agit aussi de voir le potentiel et les capacités de ces seniors, qui peuvent tout à fait être engagés dans des actions associatives ou politiques par exemple», témoigne Pierre-Olivier Lefebvre, chiffres à l’appui : près de 60 % des maires français ont plus de 60 ans. Loin d’être inactifs, la plupart des seniors sont grands-parents, et cumulent au total 17 millions d’heures de garde d’enfants par semaine.

Tisser du lien entre les habitants

«En 2030, 46 % des habitants auront plus de 60 ans à Joigny», anticipe Bernadette Monnier, adjointe aux seniors et aux associations à la mairie de Joigny. Face à ce défi démographique, la commune adapte au quotidien ses services pour répondre aux besoins spécifiques des aînés : «troc de services entre les habitants, formations au numérique à domicile ou sous la forme d’ateliers, ou encore système de messages pour informer les aînés des événements de la ville», conçus notamment pour ceux qui n’ont pas accès à Internet, liste l’adjointe.

Toutes les semaines, Michel et Denise vont danser. Les deux retraités de 77 et 72 ans se sont rencontrés il y a plusieurs années au rythme des pas de valse. Depuis, ils continuent de pratiquer leur passion grâce aux associations de danse de la ville, qui compte au total 162 organismes culturels ou sportifs. «Les associations ne survivent qu’avec les personnes de plus de 60 ans, témoigne Michel. Mais les activités ne sont pas pensées que pour les seniors. Ce qui est entrepris l’est aussi pour les autres générations, qui se retrouvent, et partagent des moments ensemble. C’est un vecteur de lien social, quel que soit l’âge.»