Le son des tambours se mêle au vrombissement des motos du Gai Moto Club, décorées de drapeaux arc-en-ciel, qui ouvrent la marche. Il est 15 heures ce samedi 26 juin, lorsqu’une foule joyeuse s’élance sur l’avenue Jean-Lolive à Pantin, en direction de la place de la République à Paris. L’Inter-LGBT, qui regroupe une soixantaine d’associations (Aides, Acceptess-T, Act Up, Association des familles homoparentales…) et organise l’événement, a décidé que pour la première fois le point de rendez-vous de la Marche des Fiertés serait en Seine-Saint-Denis. Une initiative que Matthieu Gatipon, porte-parole de l’Inter-LGBT, explique ainsi à Libération : «Tous les organisateurs et participants n’habitent pas un triplex dans le Marais.»
Pour Youssef Belghmaidi, femme trans racisée et militante de l’association Saint-Denis Ville au Cœur, «ça fait extrêmement plaisir que la Pride démarre de la ville de Pantin». A ses yeux, ces milliers de personnes LGBTQ + rassemblées en Seine-Saint-Denis envoient un message fort : «Cela montre qu’on avance dans cette stratégie de dédiabolisation des quartiers populaires. Cela montre que contrairement au discours constant sur l’insécurité, qui donne l’impression que les banlieues populaires et l’immigration sont un danger pour la France, on peut avoir une vie queer ici.» La présence de la Pride à Pantin est aussi un signal positif pour toutes les personnes queer en banlieue, qui peuvent se sentir parfois délaissées. Un premier pas, Youssef l’espère, vers d’autres avancées : «Ce que l’on voudrait vraiment, ce sont des centres avec des personnels formés pour accueillir et accompagner des personnes LGBTQ +. Il faut qu’aucune personne queer ne soit isolée.»
Le cœur est à la fête
Ce rassemblement est aussi l’occasion de briser la solitude engendrée par la crise sanitaire et sociale. Alors que l’édition 2020 de la Pride officielle avait été annulée en raison de l’épidémie de Covid-19, et même s’il n’y a cette année ni chars ni podium sur lesquels danser, l’ambiance est festive. Paillettes sur les yeux et drapeaux LGBTQ + à la main, les manifestants donnent de la voix et entonnent en chœur la Boulette, chanson de Diams dans les années 2000, en appuyant particulièrement sur les vers suivants : «Et j’emmerde Marine juste parce que ça fait zizir (plaisir, ndlr).»
Le visage maquillé aux couleurs de l’arc-en-ciel sous ses lunettes, Mathis, 23 ans, s’est paré d’un immense drapeau LGBTQ +. Il est venu «pour le côté festif» et parce que «ça fait toujours plaisir de voir qu’on est aussi nombreux». Mais derrière cette célébration géante des fiertés queer couvent de véritables revendications. Mathis l’affirme : il pense de plus en plus qu’il voudrait avoir un enfant plus tard. Or, en tant qu’homme gay, «fonder une famille, aujourd’hui, c’est compliqué», affirme-t-il.
Des revendications politiques
La revendication des droits des personnes queer, c’est le mot d’ordre donné par l’Inter-LGBT pour cette marche des fiertés : «Plus de droits, moins de blabla ! Trop de promesses, on régresse !» Jade, 11 ans, est venue avec sa mère, «pour défendre nos fiertés et pour dire que c’est pas parce qu’on est LGBT qu’on doit nous exclure», affirme-t-elle timidement. Sa mère, Sandrine, a tenu à emmener sa fille : «Jade est gay et je la soutiens à fond. C’est génial d’être ici, car plus on manifestera, plus les personnes LGBT auront des droits et moins elles seront discriminées.»
Cet engouement politique a aussi convaincu Florence (1) de se déplacer ce samedi. «Ça faisait longtemps que je ne venais plus aux Pride car l’ambiance de fête foraine ambulante ne m’attirait plus. Cette marche revendicative, qui part de Pantin, ça me parle bien», s’enthousiasme cette «gouine» – comme elle le revendique – de 37 ans. «On veut des marches politiques dans lesquelles on exprime nos colères.» Habillée sobrement, casquette marron sur la tête, elle n’arbore ni maquillage multicolore ni drapeau. En manifestant ce samedi, elle veut dénoncer le fait que les droits des personnes LGBTQ + «avancent à pas de fourmis».
Pour Florence, l’urgence est à la déconjugalisation de l’Allocation adulte handicapé (AAH), car le système actuel «crée des situations de dépendance terribles» et à l’élargissement de la PMA. «J’ai beaucoup de potes qui ont fait des PMA artisanales ou à l’étranger et qui se retrouvent dans des problématiques juridiques complètement dingues. Cela crée plein de problèmes dans la vie des enfants. Je voudrais qu’on accepte enfin l’idée qu’une famille, ce n’est pas forcément un papa et une maman. Ça fait trente ans que ce n’est plus le cas, et malgré ça, l’Assemblée en débat encore aujourd’hui.»
Pour certains manifestants, le possible vote définitif de l’Assemblée nationale, ce mardi 29 juin, du projet de loi bioéthique qui devrait élargir la PMA (procréation médicalement assistée) aux femmes seules et aux couples de femmes, n’est pas suffisant. «On manifeste aussi pour des droits qui nous sont propres, dont la filiation trans.» Lucas, homme trans et gay de 20 ans, déplore d’être exclu de ce projet. «Moi, par exemple, j’ai fait mon changement d’état civil [son genre «homme» est inscrit sur ses papiers d’identité, plutôt que le sexe qui lui a été assigné à la naissance, ndlr]. Je peux porter un enfant. Or, aujourd’hui, si je fais un bébé, pour être déclaré père, je devrais accoucher sous X et adopter mon enfant ensuite. Ce n’est pas normal.»
Le coût des transitions de genre et les difficultés rencontrées par les personnes transgenres d’un point de vue administratif et médical, la GPA (Gestation pour autrui), les droits bafoués des personnes intersexes… Tout au long de la Marche des fiertés, qui a atteint la place de la République en fin d’après-midi, les manifestants ont rappelé à quel point le chemin pour l’égalité des droits des personnes LGBTQ + reste long.