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Tensions

Déserts médicaux : la liberté d’installation des médecins en sursis

Examinée ce mercredi 26 mars en commission, la proposition de loi transpartisane sur la lutte contre les déserts médicaux pourrait n’être discutée en séance publique que début mai.
Le Croisic (Loire-Atlantique) cherche deux médecins, le 21 mai 2023. (Valérie Dubois/Hans Lucas. AFP)
publié le 26 mars 2025 à 11h34

Leur déception est perceptible. Mardi, c’est la mine chafouine que les députés membres du groupe de travail transpartisan sur la lutte contre les déserts médicaux se présentent à la presse. Tout pourtant semble leur sourire. Après des mois d’attente, la proposition de loi qu’ils cisèlent depuis deux ans et demi pour stopper l’aggravation des inégalités territoriales d’accès aux soins arrive ce mercredi 26 mars devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Une petite victoire. Certes son contenu a été allégé (quatre articles au lieu des 16 prévus à l’automne). Mais son article premier «ADN de la proposition de loi» prévoit toujours de lever le tabou de la liberté d’installation des médecins libéraux. En douceur.

L’idée ? Laisser les médecins libres de s’installer où bon leur semble dans les zones médicalement sous dotées, soit 87 % du territoire national. En revanche, sur les 13 % où l’offre de soin est «au moins suffisante», l’installation ne serait plus autorisée par les agences régionales de santé (ARS) qu’en cas de cessation d’activité d’un médecin pratiquant la même spécialité. Façon d’éviter une concentration médicale délétère à l’heure où des pans entiers de la population galèrent pour décrocher une consultation. «Réguler l’installation des médecins, c’est quelque chose qui n’a jamais été tenté en vingt ans, insiste le député (Les démocrates) d’Eure-et-Loir, Philippe Vigier. On l’a fait pour les pharmaciens, les kinés, les infirmiers et pour les dentistes depuis le 1er janvier 2025. C’est une mesure de bon sens.»

Un examen reporté

Une mesure aussi très populaire. Selon un sondage Ipsos publié le 17 mars par la Fédération hospitalière de France, 86 % des Français y sont favorables. Tout comme les petits élus locaux confrontés à la détresse de leurs administrés que le départ en retraite de leur médecin traitant laisse souvent sans recours. Mi-mars, le maire de la Ferrière-aux-Etangs (Orne) a même programmé une marche citoyenne jusqu’à Paris, afin de «sensibiliser les pouvoirs publics à l’urgence» de prendre cette disposition. Au sein du Palais Bourbon, le soutien à la proposition de loi transpartisane est tout aussi massif : 256 députés de tous bords, à l’exception du RN et du parti d’Eric Ciotti, l’ont cosigné. Surtout, à la surprise générale, Matignon semble disposé à accompagner le mouvement. C’est du moins ce que suggère le courrier envoyé par François Bayrou aux présidents de groupe parlementaire le 21 mars. «Le gouvernement se mobilisera au côté des parlementaires qui souhaitent prendre des initiatives, dans un cadre transpartisan pour apporter des réponses à la question des déserts médicaux», avait indiqué le chef du gouvernement.

Reste que ce mardi, le député socialiste Guillaume Garot et ses collègues l’ont mauvaise. Pour cause, ils viennent d’apprendre que leur proposition de loi pourrait ne pas être discutée – et donc votée – en séance plénière le 1er avril comme initialement prévu. «Ce n’est pas le seul texte transpartisan à être inscrit ce jour-là, explique Guillaume Garot, traits tirés. Notre proposition de loi passe après celle sur le consentement. Autant dire que le temps risque de manquer pour l’examiner !» Or aucune autre fenêtre de tir parlementaire n’est praticable avant début mai. Au mieux…

«Grosse erreur»

Ce retard à l’allumage, Guillaume Garot ne s’y résout pas. «Il faut que le gouvernement accepte que cette proposition de loi soit discutée sur son propre temps législatif. Ce serait logique puisque le Premier ministre considère que la lutte contre les déserts médicaux est une priorité !» L’exécutif pourrait toutefois y regarder à deux fois. C’est que les syndicats de médecins ont engagé la contre-offensive. La liberté d’installation, pilier de la médecine libérale, est pour eux une «ligne rouge» qu’il y a danger à franchir, ont-ils fait savoir en haut lieu. En parallèle, ils font le siège des députés, pour les convaincre de ne pas commettre une «grosse erreur».

«Porter atteinte à la liberté d’installation n’a aucune chance de donner de bons résultats vu la pénurie globale de médecins, argumente le président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), Franck Devulder, qui le 17 mars a adressé une lettre ouverte à l’ensemble des élus du Palais Bourbon. Cela risque de détourner les jeunes de l’exercice libéral, de les pousser vers le salariat. Mais c’est oublier que les centres de soins non programmés ont une production de soins quotidienne très inférieure à celle des médecins libéraux, comme le documente un récent rapport de l’IGAS. Au final, l’accès aux soins ne va pas s’améliorer mais se détériorer !»

«Désaccords à trancher»

Une critique suffisamment pertinente pour que Garot décide de compléter sa proposition de loi : «Notre volonté est de stabiliser l’offre de soin dans les zones bien dotées, qu’elle soit libérale ou salariée, riposte le député de Mayenne. Je vais déposer ce mercredi un amendement en commission pour le préciser : les ARS devront évidemment aussi veiller à ce qu’il n’y ait pas de hausse des médecins salariés sur la zone.»

Pour faire baisser la tension, le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a publiquement fait savoir son opposition à toute mesure de «coercition» des médecins. Lundi 24 mars, il a réuni en visioconférence syndicats médicaux et auteur de la proposition de loi pour tenter de concilier les positions. Sans succès. «Cette réunion a acté les divergences de vues entre nous et les syndicats de médecins, sourit Guillaume Garot. Neuder nous a suggéré de reporter l’examen de la proposition de loi, le temps de trouver un terrain d’entente. Mais ce n’est pas comme cela que ça marche. Les désaccords doivent être tranchés au Parlement : c’est le lieu du débat démocratique !» Quitte à devoir s’armer de patience.