Sur les images, des dizaines de chiens, enfermés dans leur cage de transport, viennent d’être déchargés d’un avion en provenance des Etats-Unis. Leur regard paniqué retourne l’estomac, surtout quand on sait ce qui les attend : en transit sur le tarmac de Copenhague, ils vont partir vers des laboratoires français. Tous sont des beagles, une race privilégiée en raison de sa docilité.
De tels documents sont rares. Et pour cause : le monde de l’expérimentation animale déteste la publicité en général, et les images volées en particulier. Celles-ci proviennent de deux ONG, l’une danoise (Anima), l’autre britannique (Camp Beagle), et sont relayées en France depuis le 9 août par l’association One Voice. «A partir de cette vidéo, tournée le 14 janvier 2022, Anima et Camp Beagle ont mené une enquête sur le transport de beagles américains dans les avions de la Scandinavian Airlines, raconte la directrice des investigations à One Voice, Jessica Lefèvre-Grave. Il a fallu un temps considérable à ces deux ONG pour récupérer des informations sur les vols et analyser les données, mais ces investigations ont pu établir que 74 chiens en provenance des Etats-Unis avaient transité par le Danemark avant d’être acheminés en France en janvier 2022, puis 83 autres trois semaines plus tard. Depuis 2021, plus de 5 000 chiens américains ont ainsi été importés en Europe via Copenhague. Les Etats-Unis inondent le marché européen.»
Production d’animaux de labos «prêts à l’emploi»
Les images relayées par One Voice révèlent que l’expéditeur de ces chiens n’est autre que Marshall BioResources (MBR), un géant américain qui élève toutes les espèces d’animaux convoitées par les labos, notamment des beagles. La firme a même déposé une «marque», le «Beagle Marshall», et possède deux élevages de beagles en France, l’un à Gannat (Allier), l’autre à Mézilles (Yonne).
Quant au destinataire, c’est Charles River Laboratories, et plus précisément un vaste site d’expérimentation établi à Miserey (Eure). Cet autre mastodonte américain se présente comme incontournable dans la sélection, la production, l’achat, la vente, l’importation et l’exportation d’animaux de laboratoire. Charles River France a réalisé un chiffre d’affaires de près de 64 millions d’euros en 2021 (34 millions dans l’Hexagone, environ 30 millions à l’étranger), des scores colossaux auxquels il faudrait ajouter les bénéfices de ses sociétés satellites et autres filiales.
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Son site de Miserey s’est spécialisé dans la toxicologie oculaire et la production d’animaux de labos «prêts à l’emploi» : génétiquement modifiés, pré-opérés, obèses, consanguins, ou sur lesquels on a développé des tumeurs ou des maladies. Les laboratoires Charles River pratiquent en outre des tests pyrogènes qui consistent à injecter un produit par intraveineuse à des lapins, puis à mesurer l’élévation de leur température. Des alternatives sans modèle animal, plus fiables, permettent d’éviter ce type de tests qui demeurent en France pourtant particulièrement fréquents. Les laboratoires Charles River, dont le site internet ne fait nulle mention d’expériences sur des beagles, n’ont pas répondu à nos questions.
Seule une infime partie survit aux expérimentations
Selon les dernières statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 4 383 expérimentations ont été menées sur des chiens en 2021 ; plus d’un tiers a été utilisé dans plusieurs expériences. Injections de produits, prises de sang, de tissus, d’organes, ponctions, biopsies, gavage, tests cutanés, cardiaques, cérébraux, ophtalmologiques, autopsies pour prélèvements et analyses… Seule une infime partie survit aux expérimentations. S’ils ne meurent pas durant les tests, ces beagles sont tués en fin de protocole pour être autopsiés.
«Nous demandons à Scandinavian Airlines de ne plus transporter de chiens destinés aux laboratoires, et l’aéroport de Copenhague doit également cesser de les accepter, tranche Jessica Lefèvre-Grave. Nous exigeons en outre la fermeture des élevages de MBR en Europe et la fin de l’expérimentation sur les chiens.»
Selon le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, près de deux millions d’animaux ont été utilisés par les laboratoires français en 2021. Un chiffre très élevé, et pourtant bien en-deçà de la réalité. Selon un rapport d’information de l’Assemblée nationale paru en 2020, «12,6 millions d’animaux élevés dans des laboratoires de l’Union européenne meurent ou sont euthanasiés sans même avoir été utilisés car ils sont jugés trop vieux, malades ou simplement inutiles».