La grande photo en noir et blanc a été installée en haut des marches du Stade-Vélodrome en milieu de matinée. Un Bernard Tapie époque olympienne, assis sur un fauteuil aux allures de trône et tenant à la main un ballon de foot. Quelques heures après l’annonce de la mort de l’ancien président du club dimanche, des Marseillais - le plus souvent habillés en bleu et blanc - sont venus sur place pour un dernier hommage.
Certains restent au pied de l’escalier, marquent le pas et puis s’en vont. D’autres, arborant le plus souvent le maillot du club, grimpent jusqu’à l’image pour se recueillir ou déposer une rose blanche. Sarah, elle, a apporté des bougies. Elle peine à les éclairer, le vent souffle fort. Elle s’agenouille, caresse de sa main la photo, s’attarde un peu : «J’ai trente ans, j’ai grandi avec lui. Pour nous tous, c’est le boss…»
Justement, Maurice dit «Momo», retraité survolté et figure du stade, a mis sa panoplie complète – maillot, casquette et masque siglé OM, pour «rendre hommage au boss» mais aussi dire tout le mal qu’il pense des Parisiens. Il brandit son porte-clé «Coupe d’Europe». «Celle-là, ils ne l’auront jamais», crie-t-il sous les applaudissements de la quarantaine de supporteurs, qui entonne dans la foulée un «aux armes», l’un des chants mythiques du stade.
Des répliques de la coupe d’Europe, il y en a quelques-unes au pied de la grande photo, déposées au fil de la journée par les visiteurs. L’un d’eux a scotché un message au pied de la bâche : «Marseille ne pleure pas, elle se réjouit de vous avoir connu».
Marie-France, aujourd’hui retraitée, travaillait au standard de la prison de Luynes, à Aix-en-Provence, quand son idole y était incarcérée en 1997. «Je m’occupais aussi du courrier et quand des lettres d’insultes arrivaient, je les mettais dans mon sac pour qu’il ne les voie pas. Après, je les ai données à sa secrétaire. C’était mon idole, j’ai assisté à tous ses jugements», raconte-t-elle, visiblement émue.
Petit à petit, la foule gonfle sur le parvis du stade. On attend le maire qui ne doit pas tarder. Cela fait déjà un moment qu’Elvir, 42 ans et survêt bleu et blanc, est assis sur les marches au pied de la bâche. «C’est dur, souffle-t-il, les yeux humides cachés par des lunettes de soleil. Tapie, c’est notre papa à tous. Il a tellement fait pour nous. A jamais le premier… Tapie, c’est 93, le 26 mai 1993…» Pour tous ici, Bernard Tapie, c’est le président qui a donné à la ville son étoile de Champions League, il y a presque trente ans.
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Julien est venu avec ses amis apporter une rose. En 1993, il a 6 ans le jour où l’équipe a ramené la coupe au Vélodrome, ouvert à toute la ville pour l’occasion. «Je me souviens exactement où j’étais assis, en haut de la tribune Jean Bouin, sourit-il. Cette émotion quand j’ai vu les joueurs faire le tour de la pelouse avec leurs cheveux teints en bleu et blanc… Il y a eu d’autres souvenirs depuis, mais celui-là, on ne peut pas l’oublier.»
«C’est un membre de la famille»
Adrien, lui, n’a que 19 ans. La grande époque, il ne l’a pas vécue. Mais quand il a appris la nouvelle par les réseaux sociaux, il a eu besoin de venir devant le stade pour participer à l’hommage improvisé des supporteurs. «Il incarne quelque chose que l’on n’a plus goûté depuis, explique le jeune homme en maillot de l’OM. La réussite, la grandeur, le respect. Et puis Tapie représentait le peuple. Je sais qu’il était présenté comme un homme d’affaires bling-bling, mais pour nous, il défendait le peuple marseillais. Même s’il était parisien.»
Devant le stade, les supporteurs de tous les âges se rejoignent, la génération Tapie partage sa peine avec les anciens et les plus jeunes. Un soutien indéfectible qui s’affiche presque à chaque match à coups de banderoles, notamment depuis que l’ancien ministre de la Ville avait annoncé lutter contre un double cancer. «Cela fait des années que, même sur un petit pont perdu, tu trouves des banderoles pour Tapie, confirme Philippe, 42 ans. C’est un membre de la famille. Et son dernier combat, comme le reste, force le respect.»
Les applaudissements se succèdent. «Merci Bernard !», entend-on quand des voitures klaxonnent au passage. A l’approche du match qui oppose l’OM à Lille, en fin de journée, les supporteurs se font plus nombreux sur le parvis. Interdits de déplacement, ils suivront la rencontre à Marseille. Mais le Losc a fait les choses bien, affichant une photo de Tapie a été exposée sur les écrans de son stade et adressant «toutes ses condoléances à sa famille et à ses proches.» Et les joueurs marseillais ont porté un brassard noir.
Benoît Payan arrive en milieu d’après-midi. Bernard Tapie «a aimé Marseille et les Marseillais l’ont aimé. Il a compris cette ville, plus que des mots il lui a donné des preuves d’amour», souligne-t-il. Derrière lui, la foule entonne un «Tapie Vélodrome», suggérant de renommer le stade qui s’appelle actuellement «Orange Vélodrome». «J’ai entendu mais ce n’est pas le moment, tempère le maire. Pour l’heure, c’est le temps du recueillement.» Un groupe de supporteurs des South Winners n’a pas eu envie d’attendre: ils ont accroché une banderole «Stade B. Tapie Vélodrome» sur le côté du parvis, craquant au passage quelques fumigènes.
«Il n’y a plus cette folie aujourd’hui»
Peu importe la saga judiciaire, les soupçons de matchs truqués, la réputation complexe de l’homme d’affaires. «De toute façon, à Marseille, on a toujours préféré la voyoucratie aux autres», sourit Philippe. Ce fervent supporteur avait 18 ans le 26 mai 1993 quand il avait fait le voyage à Munich pour la finale de la Ligue des champions. Ses places, il les avait obtenues de haute lutte, après des heures de queue devant le Vélodrome. Tous ces souvenirs se bousculent dans sa tête : «C’est toute une époque qui se clôture, toute notre jeunesse… Il n’y a plus cette folie aujourd’hui, et pourtant il y a plus d’abonnés au stade qu’à l’époque. Il a insufflé sa passion à tout le monde. J’espère que le club lui rendra un hommage à sa hauteur.»
Dès lundi, le Stade-Vélodrome sera ouvert pour plusieurs jours avec un registre de condoléances, a indiqué le club. Le maire PS de Marseille, Benoît Payan, a également annoncé qu’une chapelle ardente serait mise en place dans les jours à venir au stade. Les Marseillais devraient aussi se rendre nombreux aux obsèques de l’ancien président qui, selon sa volonté, sera inhumé à Marseille. Les obsèques auront lieu à la cathédrale de la Major, face à la Méditerranée. Philippe y sera : «Choisir d’être enterré ici, c’est le plus beau cadeau qu’il pouvait nous faire.»
Mis à jour à 18h30 avec l’hommage lors du match Lille-Marseille.